Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/211

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détails. C’est l’impression de l’original qu’a surtout poursuivie et obtenue le graveur. Dans les planches où il a osé se mesurer avec La Tour et transporter dans une forme d’art monochrome les masques merveilleux d’animation et de couleur, à larges lumières, heurtés, sabrés d’audacieuses balafres de pastel pur, sans écrasement d’estompe ou de pouce et sans modelé, Jules de Goncourt est arrivé à une puissance d’effet qui égale presque celle des originaux. Il y a, dans son œuvre d’après La Tour, trois ou quatre pièces qui sont tout à fait de premier ordre et aucun autre graveur, homme de métier et de belle taille, n’a rendu le roi du pastel avec cette autorité et cette affinité de talent. La Lecture de Fragonard, pâle sépia toute en nuances, et le Gobelet de Chardin sont rendus aussi avec un bonheur d’autant plus charmant que l’interprète se meut avec liberté dans des chemins qu’il a ouverts. Une façon inattendue d’attaquer le cuivre, de muscler les contours, donne à ces eaux-fortes une saveur d’intimité, d’improvisation et d’élégance qui les rendent infiniment précieuses.

Ces qualités personnelles on les trouve aussi, non moins franches d’accent, dans les aquarelles par lesquelles Jules avait débuté dans l’art. Il était arrivé assez vite à connaître toutes les roueries du métier. Ses aquarelles, très pittoresques, sont d’un ton rare et feraient plutôt penser, par leur tonalité, aux travaux des aquarellistes anglais qu’à ceux de Decamps et de Marilhat qui, au temps où Jules cherchait sa voie dans la peinture à l’eau, étaient en possession, chez nous, de la maîtrise et du succès. Il se permet pourtant des licences que les peintres anglais considèrent comme des crimes : des grattages de papier, des reprises de gouache, même des rehauts de crayon lithographique. C’est que l’indépendance des idées