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eux, comme tout ce qu’ils faisaient, portaient les deux initiales E. J.

Ce recueil de lettres, d’une lecture mélancolique, s’empare avec autorité, dès le début, de l’esprit du lecteur. Elles reflètent l’histoire de deux intelligences unies dans une même passion, combattant dans l’obscurité et dans le vide. Toutes les étapes de leur route sont marquées par des bulletins de défaite, d’où éclate parfois une fusée de rire. Mais la note soutenue est la tristesse des déceptions et l’indifférence méprisante pour tout ce qui n’est pas l’art. M. Aurélien Scholl a été, le plus souvent, le confident des déboires de Jules. À lui cette lettre :

Nous vous écrivons navrés, très positivement. Un peu souffrants de corps tous deux, un peu nous découvrant de grosses promesses d’infirmités pour nos vieux jours, puis, par là-dessus, très malades d’âme, nous raidissant contre le découragement et nous y laissant aller d’heure en heure. Pas une main tendue ; les médiocres et les vieux régnant ; pas un courant, pas un mouvement ; la mer littéraire endormie comme un lac d’huile : l’éditeur, un mythe ; quelques titres, une défaveur ; le théâtre possédé absolument par les vaudevillistes infects ; le public lisant tout ; la critique, une accoucheuse qui ne fait que des avortements ; les petits journaux ne révélant personne ; les grands taisant les jeunes gens ; l’inimitié et l’insolidarité poussées au plus haut point dans la République des lettres ; des alliés ridicules ; et vos luttes, et vos fièvres, et vos angoisses, et votre furie d’avenir, enfin tout ce cœur que vous mettez dans votre tête, ne servant de rien, ne menant à rien. Allez, je vous le répète, nous fatiguons une mer d’huile !

… Nous vous aimons comme vous nous aimez. Nous vous aimons parce que vous nous aimez. Nos tristesses se confessent l’une à l’autre ; nos étoiles anonymes se sont prises dans la vie, bras dessus, bras dessous, et ne se quitteront pas. Et maintenant, la main dans la main, tous trois égaux devant notre belle amitié, causons, ami…[1]

  1. Lettres de Jules, p. 80 et 63.