Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/22

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pable des choses, à rendre les nuances les plus difficilement perceptibles.

Leur originalité a été de mettre au rancart tout l’appareil sonore de la vieille rhétorique dont la littérature romantique, quand ils débutèrent, venait de regonfler les outres et de créer un style à mailles souples, ténues et résistantes, laissant voir la chose ou l’idée à travers le filet qui les captive. Nulle autre préoccupation ne possède les Goncourt que de donner l’empreinte littérale de leur sensation au moment même et dans la forme où elle se produit ; ils opèrent ainsi une continuelle transposition d’art ; sans atténuer en traduisant, ils parlent de chaque chose avec des mots qui donnent l’illusion de sa présence réelle.

On a dit qu’ils étaient les Chopin de la littérature et fourni ainsi une idée ingénieuse de leur nervosité, de l’élégance incorrecte et du brillant de leur jeu ; mais, dans le même ordre d’idées, M. Paul Bourget les a, plus heureusement encore, comparés à des Tziganes qui jouent douloureusement et passionnément de leurs instruments. Il a ajouté, avec non moins de justesse, que les Goncourt ont donné un système nerveux aux phrases qu’ils écrivent. Voilà bien, appliquées aux deux frères, des idées et des images qui semblent détachées de leur œuvre même. C’est que tout analyste, tout artiste de sentiment, tout orfèvre de phrases ayant « la perception suraiguë de la personnalité des choses » qui écrit aujourd’hui, subit, consciemment ou non, l’influence de ces deux dilettantes qui ont su combiner, dans un alliage pittoresque, la psychologie et la plastique. M. Alphonse Daudet avait bien raison de le dire : « Toute la littérature contemporaine, nous tous, nous sommes les redevables