Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/228

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En effet, M. Ph. Burty, obligé par les obus de quitter la rue du Petit-Banquier, avait trouvé un abri provisoire dans une maison réquisitionnée par la municipalité, à l’angle de la rue Vivienne et du boulevard des Italiens, au-dessus de la Librairie nouvelle. Une ou deux pièces de l’appartement demeuraient inoccupées. M. Burty les offrit à son ami qui s’empressa d’y transporter les maîtresses pièces de ses collections et ses livres les plus précieux. Ce fut là qu’il passa les derniers jours du siège et le temps de la Commune. Ceci explique le morceau suivant du Journal posthume :

Mardi, 23 mai 1871. — Il est à peu près six heures. Les Versaillais viennent de prendre la barricade de la rue Drouot, et, répandus en ligne sur le boulevard, ouvrent le feu dans la direction de la porte Saint-Denis. Voilà ce que j’ai sous les yeux, de la maison faisant l’angle de la rue Vivienne : De l’autre côté du boulevard, dans le moment complètement désert, il y a, étendu à terre, un homme dont je ne vois que les semelles de bottes et un bout de galon doré. Près du cadavre se tiennent un garde national et un lieutenant sur lesquels les balles des Versaillais font pleuvoir les feuilles d’un petit arbre, étendant ses branches au-dessus de leurs têtes. Un détail dramatique que j’oubliais : derrière ces deux hommes, dans le renfoncement d’une porte cochère fermée, une femme tient dans une de ses mains un képi, — peut-être le képi du tué. Au milieu de la terrible fusillade, le garde national, un gros homme aux gestes violents et parlant à la cantonade, semble demander aux Versaillais de relever le mort. Les balles continuent à faire pleuvoir les feuilles sur les deux hommes. Alors le garde national dont j’aperçois la figure rouge de colère, jette son chassepot sur son dos, la crosse en l’air, et marche sur les coups de fusil, l’injure à la bouche. Soudain, je le vois s’arrêter, porter la main à son front, appuyer une seconde cette main tenant son front contre un petit arbre, puis tourner sur lui-même et tomber sur le dos, les bras en croix. Le lieutenant, lui, était resté immobile, à côté du premier mort, tranquille comme un homme qui méditerait dans un jardin. Une balle qui avait fait tomber une branchette sur lui et qu’il avait rejetée d’une chiquenaude, ne l’avait pas tiré de son immobilité. Soudain, il eut un regard,