Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Ah ! fichtre, le beau sexe ici n’est pas beau ! En revanche, la nature est charmante et vos promenades dans les sapins ont toujours un ruisseau qui chante à votre droite et à votre gauche.

Quelque chose de désagréable, par exemple, c’est l’antipathie que l’on perçoit pour notre nationalité. Une espèce de bourgeois de l’endroit qui nous saluait dans les rencontres de la promenade, ne nous salue plus depuis qu’il a appris que nous étions Français. C’est curieux ! Ils nous haïssent de plus belle, absolument comme si nous les avions battus. La victoire n’apporte aucune diminution dans la rancune allemande.

Des fêtes viennent d’avoir lieu ici pour le quatre centième anniversaire de l’Université, et, dans la saoûlerie de ces fêtes, il n’y a été question que de l’extermination de l’ennemi héréditaire. Encore, Dieu merci ! le paysan est-il catholique ici, et, par cela même, moins hostile aux Français. Le séjour de nos nationaux doit être impossible dans les pays protestants.

Un détail fort caractéristique du catholicisme local : notre loueur de chalet a épousé une Saxonne, une protestante. Au moment de ce mariage qui faisait scandale, une députation des habitans est arrivée chez lui et lui a adressé ces simples paroles : « Ne l’épouse pas ! Nous avons fait, entre nous, deux mille florins, nous te les donnons ! » Et, pour le punir de n’avoir pas accepté, personne ne le voit et ses vaches sont condamnées à l’étable à perpétuité, n’ayant plus la permission de pâturer dans les prairies communales.

Donc ils sont catholiques et sincèrement catholiques, mais des catholiques à se faire adorer par vous-même. Ces hommes qui vivent de miel et de lait, à la façon des anciens apôtres, en ont toute la construction physique, et feraient les plus intéressants modèles pour des tableaux religieux. Ces jours-ci, je regardais, à l’Église, ces beaux profils barbares de saint Jean-Baptiste roux, avec leurs barbes et leurs cheveux tortillonnés de la peinture primitive ; et des nuques de femmes, avec leurs torsades de cheveux jaunes, sous la calotte de drap qui les coiffe, faisaient revivre, sous mes yeux, un passé moyen-âgeux qu’on ne trouve que parmi cette humanité fruste.

Et on vous la brise !… Mes hommages les plus respectueux à Mademoiselle Renée et des choses tendres à Madeleine et à Madame Burty.

Edmond de Goncourt.
Bar-sur-Seine, 18 octobre 1873.
Mon cher ami,

Qu’est-ce que devient M. de Burty ? Qu’est-ce que devient Madame ? Qu’est-ce que devient la fillette ? Qu’est-ce qui se