Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/27

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bonté native ne tempère pas son acuité. Le nez court — moins pourtant que ne l’a fait M. Bracquemond dans le dessin du Luxembourg qu’il a gravé — domine d’un peu haut une moustache blanche, longue, légèrement éparse aux extrémités. Le sourire, plein de franchise et de finesse, succède, sans effort, à une expression attristée. M. Edmond de Goncourt a l’élégance du corps et la tenue d’un officier supérieur en retraite qui aurait conservé sa taille de régiment et la netteté de son esprit. Ses mains, fines et longues, tout en faisceaux fibreux emboîtés dans des articulations noueuses, ont, pour toucher les choses, des délicatesses féminines. Les collectionneurs de haute lignée sont seuls pourvus de ces tentacules languides et subtiles, d’un tact exquis, qui adhèrent voluptueusement aux choses d’art avec un attouchement de caresse.

Comment il s’est fait que des esprits amoureux du dix-huitième siècle, c’est-à-dire d’une époque charmante mais enfiévrée par le joli, ayant créé, à son image, un art merveilleusement faux et maniéré, mais original et spirituel, ont été, en même temps, les Vésale, les initiateurs d’une anatomie littéraire qui devait offenser leurs nerfs délicats et leur élégance native, c’est une anomalie qui paraît étonner les Goncourt eux-mêmes. Ils la constatent, à plusieurs reprises, dans leur journal, mais ils n’ont pas tenté d’en fournir une explication. La double étude à laquelle ils se livraient en même temps et qui leur faisait publier, dans le même mois de janvier 1865, Germinie Lacerteux et un fascicule musqué sur Honoré Fragonard, ils l’ont menée de front pendant toute leur vie commune et M. Edmond de Goncourt l’a continuée, quand il est demeuré seul. C’est un second problème de psychologie, non moins curieux que celui de leur collaboration.