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M. Parrocel, historien de ses grands-pères, a écrit aussi de longs mémoires personnels, dans le genre de Rétif. On assure qu’ils renferment une quantité d’observations très originales et des aventures racontées avec une verve endiablée.

M. E. Goncourt à Mme A. Daudet :

Auteuil, 16 août 1884.
Chère madame,

Vous êtes vraiment bien charitable de m’écrire si longuement et si gentiment et je vous en remercie, car, en ces mois d’été, on est joliment privé d’amitiés tendres et, une lettre, c’est un peu une main affectueuse qui, de loin, presse la vôtre.

Le séjour a été insupportable là-bas[1] ; j’avais toutes les nuits une insomnie qui m’arrivait vers les deux heures du matin et qui se changeait hypocritement en une crampe d’estomac vers les trois ou quatre heures, et qui durait jusqu’à la tasse de thé qu’on m’apportait à huit heures ; et, à la suite de ces nuits, des journées brisées, assommées, manquant d’inspiration. J’ai tout de même fabriqué une petite préface à En 18 qui, j’espère, n’aura pas le retentissement de celle de Chérie.

Enfin me voilà de retour à Paris où l’on ne voit personne dans les restaurants, où l’on ne rencontre pas un visage connu, où on sent même, dans les journaux qu’on lit, que les journalistes ne se sont pas donné la peine de s’appliquer. Ah ! l’été ! ah ! le sale beau temps ! je le prends en horreur et j’appelle les frimas, l’hiver enfin, la vraie saison des intelligences cultivées.

Je viens d’écrire à cette touchante madame Parrocel dont la lettre ne m’avait pas été envoyée à Jean d’Heurs et, si je ne me dégage pas absolument, ça y ressemble. Je me permets de lui dire que je ne sais pas si vous risquerez vos enfants par les routes contaminées[2] ; enfin que je vous écris pour savoir votre résolution ultime. Au fond, je trouve que ce n’est pas absolument l’année pour villégiaturer dans le département des Bouches-du-Rhône. Mandez-moi ce que vous faites et, si vous passez un peu de l’automne à Champrosay, je m’engage, sur

  1. Au château de Jean d’Heurs, nom défiguré des Gens d’Heures, confrères de la mort, dont c’était l’abbaye. Cette magnifique propriété, créée par le maréchal Oudinot, a été décrite dans Chérie. Elle appartient à M. Ratier, grand bibliophile et parent des Goncourt.
  2. Le choléra était en Provence.