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de romanciers ou de critiques, mais deux artistes, le chevalet devant la nature, clignant de l’œil pour mieux voir et peignant à deux le même morceau. Ce système a produit des esquisses rapides d’où souvent s’enlève une silhouette de forme rare, un effet de lumière, un beau geste qui a été étudié de près, au milieu de la mise en place sommaire des entours. Et ces pochades se relient par les traits d’une autobiographie au jour le jour écrite avec une familiarité raffinée.

S’il est vrai, — ce que je crois — qu’on ne peut juger de la valeur d’un peintre qu’après avoir feuilleté ses cartons, il est aussi juste d’affirmer qu’on n’a une idée bien assise d’un homme de lettres que quand on a pu surprendre sa pensée à l’éclosion, étudier ses manuscrits et lire ses lettres intimes. Mais peu d’artistes se prêtent à ce déshabillage de leur talent et permettent qu’on inventorise leur arsenal. La franchise est la marque des forts.

M. Edmond de Goncourt savait bien que la vérité sur les contemporains est plus irritante encore et plus insoutenable que l’injure. Aussi était-il bien résolu à donner au Journal le recul du temps. Un article de son testament enjoignait à un ami désigné de demander à l’administrateur de la Bibliothèque nationale l’autorisation de déposer les cahiers, clos et scellés, au département des manuscrits, à la condition que l’ouverture et la publication in extenso n’en seraient faites qu’au bout de vingt ans.

Mais M. A. Daudet, auquel son ami avait lu des passages de ses mémoires et qui avait été frappé de ce qu’ils contiennent de nouveauté, désira en connaître davantage. Il lui demanda de vouloir bien mettre quelques cahiers dans sa malle quand il viendrait à Champrosay faire son séjour d’été accoutumé. M. de Goncourt