Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/336

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raffinée, développée, mise à nu. Cette espèce de travail incessant qu’on fait sur soi, sur ses sensations, sur les mouvements de son cœur, cette autopsie perpétuelle et journalière de son être, arrive à découvrir les fibres les plus délicates, à les faire jouer de la façon la plus tressaillante. Mille ressources, mille secrets se découvrent en vous pour souffrir. »

On trouve enfin dans le tome premier du Journal : « 17 mai 1857. — On ne conçoit que dans le repos et comme dans le sommeil de l’activité morale. Les émotions sont contraires à la gestation des livres. Ceux qui imaginent ne doivent pas vivre. Il faut des jours réguliers, calmes, apaisés, un état bourgeois de tout l’être, un recueillement bonnet de coton, pour mettre au jour du grand, du tourmenté, du dramatique. Les gens qui se dépensent trop dans la passion ou dans le tressautement d’une existence nerveuse, ne feront pas d’œuvre et auront épuisé leur vie à vivre. »

Quand il s’agissait d’un livre à faire, les deux frères, longuement, dans la fumée inspiratrice du tabac, arrangeaient le plan, combinaient, convenaient de tel morceau de description qu’ils se rappelaient avoir serré, tout vivant, dans leur herbier de notes. Le sujet à traiter se décomposait bientôt dans leur esprit en un certain nombre de tableaux distincts, l’œuvre naissait avec ses membres divers, son commencement et sa fin. C’est à ces deux extrêmes qu’ils s’attaquaient d’abord, comme aux parties les plus importantes. Chacun s’enfermait dans une chambre et composait le même chapitre. À la lecture, on choisissait le meilleur.

Puis commençaient de longues séances dans lesquelles se fondaient les deux morceaux, se précisaient, de plus en plus, les arêtes du style. Ce mode