Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/73

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sives poursuivies avec passion, les Goncourt, vers 1855, formèrent le projet de publier une longue suite de biographies dans lesquelles ils n’interviendraient que par une monture et un encadrement discrets et qui seraient presque exclusivement construites avec des pièces originales. Ainsi, ils avaient chance de surprendre, au foyer même de leurs passions, de leurs amours et de leurs intérêts, les hommes et surtout les femmes que la biographie courante empaille le plus souvent et couvre de brocards, comme pour des vitrines d’apparat. Les billets galants et les confidences, les états de dépenses et les brouillons de lettres, les petits vers calligraphiés précieusement sur le papier jauni, les manuscrits des auteurs ne sont pas des témoins vulgaires ; le laisser-aller et la bonne foi les animent parfois ; on y perçoit encore le tic-tac du cœur. Les femmes surtout jettent dans leurs lettres intimes et dans les billets qu’elles troussent le meilleur ou le plus mauvais d’elles-mêmes. C’est d’elles seulement qu’il fallait dire que quatre lignes de leur écriture devaient suffire à les faire pendre.

Un jour, les deux chercheurs rapportaient chez eux un dossier acheté chez le marchand d’autographes Charavay. Ils y trouvaient, en feuilletant, d’une écriture inconnue, la copie d’un commencement de mémoires qui semblaient provenir de Sophie Arnould, la copie de vingt-deux de ses lettres, enfin une histoire de sa vie.

Les Goncourt trouvèrent curieux de publier les lettres adressées à M. et à Mme Bélanger. Elles avaient dû être écrites au temps où Sophie, fatiguée de ses duels courtois avec presque tous les hommes de son siècle, avait pris sa retraite et n’avait conservé à son service que Bélanger, médiocre architecte, en puissance de