Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dû condenser pour les mettre au point d’optique du théâtre. Ainsi naquit un livre très feuillu, très chargé, qui donne de la petite presse, en 1860, une idée très différente du tableau qu’avait peint Balzac, en 1839, dans les Illusions perdues.

On comprend, quand on lit les Hommes de lettres, qu’il fallait beaucoup de courage ou plutôt beaucoup d’audace à deux jeunes auteurs qui avaient débuté dans l’Éclair et dans le Paris, qui tenaient encore au journalisme par le plus grand nombre de leurs amis, pour crier raca sur leur origine et sortir de la petite presse comme un sultan sortit un jour de Constantinople, en crachant sur les murs. Leur étude, subissant le grossissement presque toujours produit par une monographie assez sévèrement circonscrite, semblait un défi porté au monde de l’esprit, le plus susceptible, le plus difficile à brider et le plus dangereux. Les auteurs avaient les mains pleines d’âcres vérités, ils les ouvraient, surtout dans le premier tiers du volume presque exclusivement consacré à des portraits et à ces silhouettes enlevées qu’avaient mises à la mode les légendes rapides des lithographies de Gavarni et le goût alors dominant pour les physiologies. Quatre personnages qui se donnent la réplique, tout en écrivant la copie du Scandale, furent chargés de toutes les iniquités. Assurément les quatre types ne sont pas flattés ; c’est le fond du panier du bas journalisme, une triste engeance vivant de la moquerie, du chantage et de la prostitution de l’esprit. Mais, au-dessus d’eux, le héros du livre, Charles Demailly, ne résume-t-il pas toutes les qualités morales et professionnelles de l’homme de lettres ? N’a-t-il pas le goût du travail et de la vérité, la dignité personnelle, le talent enfin qui est la suprême parure de l’artiste ?