Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/96

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me paraissait enfin trop sommaire, trop courante, trop écrite à vol d’oiseau, si l’on peut dire. En ces années, il existait chez mon frère et moi, il faut l’avouer, un parti pris, un système, une méthode qui avait l’horreur des redites. Nous étions alors passionnés pour l’inédit et nous avions, un peu à tort, l’ambition de faire de l’histoire absolument neuve, tout pleins d’un dédain exagéré pour les notions et les livres vulgarisés. »

Les Maîtresses de Louis XV, dans leur forme actuelle, ont donc été sensiblement modifiées. Une main plus virile a donné le ton définitif à bien des tableaux inconsciemment atténués ou voilés par la sympathie latente et invincible que les historiens avaient ressentie pour Louis XV. Et pourtant le grand charmeur, le bien-aimé avait été jugé, dès l’abord, avec une loyauté de pinceau à laquelle il n’était pas besoin d’ajouter ; mais, dans le cours du récit, on lui avait pardonné trop facilement d’avoir agenouillé non seulement l’homme mais le roi devant ses maîtresses, et d’avoir livré à leurs caprices les questions hautes ou futiles de la politique. Henri IV, Louis XIV, avant Mme Scarron, le Régent, qui n’avaient pas moins aimé les femmes que Louis XV, ne traitaient pas à l’ordinaire les questions d’État dans leurs boudoirs ou dans leurs lits. Ils n’avaient pas livré le pouvoir royal en livrant l’homme. La faiblesse fut, en somme, le côté inexcusable du caractère de Louis XV : « Un singulier homme, ce jeune mari, ce jeune souverain que, hors la chasse et les chiens, rien n’intéressait, n’amusait, ne fixait et dont le Cardinal (de Fleury) promenait vainement l’esprit d’un goût à un autre, de la culture des laitues à la collection d’antiques du maréchal d’Estrées, du travail du tour aux minuties de l’étiquette, et du tour à la tapisserie, sans pouvoir attacher son âme à quelque chose, sans