Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/97

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pouvoir donner à sa pensée et à son temps un emploi. Imaginez un roi de France, l’héritier de la Régence, tout glacé et tout enveloppé des ombres et des soupçons d’un Escurial, un jeune homme à la fleur de sa vie et dans l’aube de son règne, ennuyé, las, dégoûté, et, au milieu de toutes les vieillesses de son cœur, traversé de peurs de l’enfer qu’avouait par échappées sa parole alarmée et tremblante. Sans amitiés, sans préférences, sans chaleur, sans passion, indifférent à tout, et ne faisant acte de pouvoir, et d’un pouvoir jaloux, que dans la liste des invités de ses soupers. Louis XV apparaissait, dans le fond des petits appartements de Versailles, comme un grand et maussade et triste enfant, avec quelque chose dans l’esprit de sec, de méchant, de sarcastique qui était comme la vengeance des malaises de son humeur. Un sentiment de vide, de solitude, un grand embarras de la volonté et de la liberté, joint à des besoins physiques impérieux et dont l’emportement rappelait les anciens Bourbons : c’est là Louis XV à vingt ans ; c’est là le souverain en lequel existait une vague aspiration au plaisir et le désir et l’attente inquiète de la domination d’une femme passionnée, ou intelligente, ou amusante. Il appelait, sans se l’avouer à lui-même, une liaison qui l’enlevât à la persistance de ses tristesses, à la monotonie de ses ennuis, à la paresse de ses caprices, qui réveillât et étourdît sa vie, en lui apportant les violences de la passion ou le tapage de la gaieté. L’oubli de son personnage de roi, la délivrance de lui-même, toutes choses que ne lui donnait pas la reine ; voilà ce que Louis XV demandait à l’adultère ; voilà ce que, toute sa vie, il devait y chercher. »[1]

  1. La Duchesse de Châteauroux, éd. Charpentier, 1879, p. 47.