Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/98

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Et sa première maîtresse, Mme de Mailly, dut lui donner, par excellence, cet oubli des devoirs royaux. Il faut lire, dans l’ouvrage, la première pipée résolue, conduite par une femme ardente et hardie contre un dadais ombrageux et timide, l’entrevue dans les petits appartements où Mme de Mailly, introduite par un valet de chambre nommé Bachellier, qui voulait devenir chef d’un harem, dut se livrer, aidée de son complice, à des provocations impudentes pour faire sortir le roi de son indifférence ou de sa niaiserie.

Elle appartenait à cette famille de Nesles qui fut la première pourvoyeuse des amours de Louis XV et qui lui fournit successivement quatre de ses filles, quatre sœurs. Au reste, celle-ci valait mieux que les trois autres. Elle aima le roi d’un amour désintéressé et après six ans, sortit pauvre d’une charge qui allait enrichir toutes celles qui lui succédèrent : « Mme de Mailly était, en 1738, une femme de trente ans dont les beaux yeux, noirs jusqu’à la dureté, ne gardaient, aux moments d’attendrissement et de passion, qu’un éclair de hardiesse fait pour encourager les timidités de l’amour. Tout, dans sa physionomie, dans l’ovale maigre de sa figure brune, avait ce charme irritant et sensuel qui parle aux jeunes gens. C’était une de ces beautés provocatrices, fardées de pourpre, les sourcils forts, dont l’éclat semble un rayon de soleil couchant, une de ces femmes dont les peintres de la Régence nous ont laissé le type dans tous leurs portraits de femmes, la gaze à la gorge et l’étoile au front, qui, la joue allumée, le sang fouetté, les yeux brillants et grands, comme des yeux de Junon, le port hardi, la toilette libre, s’avancent du passé, avec des grâces effrontées et superbes, comme les divinités d’une bacchanale. »[1]

  1. La Duchesse de Châteauroux, p. 71.