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IDYLLES

Il m’en souvient, Philis n’avait pas dix années,
Quand le hasard lia nos âmes étonnées.
Je l’aimai plus que moi, plus qu’un petit agneau
Que j’offris à Philis, et qu’elle trouvait beau.
C’était un jour de fête, et cet agneau volage
S’enfuit, malgré mes cris, loin de notre village.
Sous ce bouquet de houx qui cache une maison.
L’agneau vint se jeter… Hélas ! qu’il eut raison !
J’y rencontrai Philis ; je crus la reconnaître ;
Je crus l’avoir aimée avant même de naître,
Je sentis que mon cœur s’enfuyait vers le sien,
Et je vis dans ses yeux qu’elle attendait le mien.
Elle avait à ses pieds sa guirlande effeuillée ;
Elle pleurait… C’était une rose mouillée.
Saisi de sa douleur, je ne pouvais parler ;
Je ne pouvais la joindre, hélas ! ni m’en aller.
Son il noir dans les pleurs brillait comme une étoile,
Ou comme un doux rayon quand il pleut au soleil.
On eût dit que mes yeux se dégageaient d’un voile,
Et que ce doux regard enchantait mon réveil !
J’oubliai mon hameau, mes parens, ma chaumière ;
Mon âme pour la voir venait sous ma paupière :
J’oubliai de punir l’agneau capricieux ;
Je regardais Philis, et je voyais les cieux.
« Qui t’alarme, lui dis-je, ô petite bergère ?
» As-tu peur d’un belier caché dans la bruyère ?