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264 Correspondance. 1.9-10.

ce que c'eft que viuere béate; ie dirois en françois viure hureufement, finon qu'il y a de la différence entre l'heur & la béatitude, en ce que l'heur ne dé- pend que des chofes qui font hors de nous, d'où vient que ceux la font eftimez plus hureux que fages, 5 aufquels il eft arriué quelque bien qu'ils ne fe font point procurez, au lieu que la béatitude confifte, ce me femble, en vn parfait contentement d'efprit & vne fatisfa&ion intérieure, que n'ont pas ordinairement ceux qui font le plus fauorifez de la fortune, & que 10 les fages acquerent fans elle. Ainfy viuere béate, viure en béatitude, ce n'eft autre chofe quauoir l'efprit parfaitement content & fatisfait.

Confiderant, | après cela, ce que c'eft quod beatam vitam efficiat, c'eft a dire quelles font les chofes qui '5 nous peuuent donner ce fouuerain contentement, ie remarque qu'il y en a de deux fortes : a fçauoir, de celles qui dépendent de nous, comme la vertu & la fagefle, & de celles qui n'en dépendent point, comme les honneurs, les richeffes & la fanté. Car il eft cer- 20 tain qu'vn homme bien né, qui n'eft point malade, qui ne manque de rien, & qui auec cela eft aufTy fage & aufTy vertueux qu'vn autre qui eft pauure, mal fain & contrefait, peut iouir d'vn plus parfait contentement que luy. Toutefois, comme vn petit vaifTeau peut 25 eftre aufTy plein qu'vn plus grand, encore qu'il con- tiene moins de liqueur, ainfy, prenant le contente- ment d'vn chafcun pour la plénitude & l'accomplif- fement de fes defirs réglez félon la raifon, ie ne doute point que les plus pauures & les plus difgraciez de la 3o

i) ordinairement] d'ordinnirc. — 10 le] les.

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