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I,III. CDLXVIII. — 1er Février 1647. 607

communique le plus que l'on peut, en sorte qu'elle m'incite à tâcher icy de vous dire plus de choses que je n'en sais, je me veux pourtant retenir, de peur que la longueur de cette lettre ne vous ennuye. Ainsi je passe à votre seconde question, savoir si la seule lu- mière naturelle nous enseigne à aimer Dieu, & Ji on le peut aimer par la force de cette lumière. Je voy qu il y a deux fortes raisons pour en douter; la première est que les attributs de Dieu qu'on considère le plus or- dinairement, sont si relevés au dessus de nous, que nous ne concevons en aucune façon qu'ils nous puissent estre convenables, ce qui est cause que nous ne nous joignons point à eux de volonté ; la seconde est qu'il n'y a rien en Dieu qui soit imaginable, ce qui

fait qu'encore qu'on auroit pour luy quelque amour intellectuelle, il ne semble pas qu'on en puisse auoir aucune sensitive, à cause qu'elle devroit passer par l'imagination pour venir de l'entendement dans le sens. C'est pourquoy je ne m'estonne pas si quelques

Philosophes se persuadent qu'il n'y a que la Religion Chrestienne qui, nous enseignant le mystère de l'In- carnation, par lequel Dieu s'est abaissé jusqu'à se rendre semblable à nous, fait que nous sommes ca- pables de l'aimer; & que ceux qui, sans la connois-

sance de ce mystère, ont semblé avoir de la passion pour quelque Divinité, n'en ont point eu, pour cela, pour le vray Dieu, mais seulement pour quelques Idoles qu'ils ont appelées de son nom ; tout de même qu'Ixion, au dire des Poètes, embrassoit une nuë au

lieu de la Reine des Dieux. Toutefois je ne fais au- cun doute que nous ne puissions véritablement aimer