Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/188

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A la matière Descartes ajoute le mouvement. Il n y voit point l’effet d’un « premier mobile », comme prétendaient aussi les gens d’École ; mais le mouvement, ainsi que la matière, est encore une création de Dieu. Il ne comprend pas non plus sous ce nom de mouvement toutes sortes de changements, à la façon des scolastiques ; il réprouve l’extension abusive de ce terme à des transformations ou modifications d’un autre ordre : en pur géomètre, il n’admet qu’un seul mouvement, le déplacement d’un corps qui s’éloigne d’un autre et se rapproche d’un troisième, ou, si l’on veut encore, le changement de situation d’un corps par rapport aux autres qui l’entourent dans l’espace[1]. Et cela lui permet de parler des lois du mouvement. Il en énonce trois, établies par Dieu, et qui se déduisent de son immutabilité. La même quantité de mouvement subsiste toujours dans l’univers ; lorsqu’un corps en meut un autre, autant celui-ci gagne de mouvement, autant le premier en perd exactement ; toujours aussi un mouvement tend à continuer en ligne droite : voyez la pierre qui s’échappe de la fronde. D’autres règles encore pourraient se déduire de là : nous les retrouverons en 1644. Ces lois du mouvement sont, pour Descartes, les lois de la nature ; ce sont encore des vérités éternelles, les mêmes dans tous les mondes possibles ; aucun ne saurait se concevoir, qui put se constituer sans elles. On reconnaît là le langage du mathématicien, qui légifère, dans l’abstrait, et ne rencontre point d’obstacle ni ne souffre de résistance au développement impérieux de sa pensée.

Avec la matière et le mouvement, tout est dit : ce sont les seuls principes, et le reste s’ensuivra, comme une série nécessaire de conséquences. Un mot cependant encore avant de commencer : dans le monde que Descartes va construire sur ce double fondement, il n’y aura jamais aucun miracle[2]. Dieu a créé la matière ; il a créé le mouvement ; plus tard nous verrons qu’il créera l’homme encore. Nous savons aussi que, par son

  1. Tome XI, p. 38, l. 22, à p. 40, l. 28.
  2. Ibid., p. 48, l. 1-6.