Page:Descartes - Discours de la méthode, éd. 1637.djvu/8

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autres, mais ſeulement de ce que nous conduiſons nos penſées par diuerſes voyes, & ne conſiderons pas les meſmes choſes. Car ce n’eſt pas aſſez d’auoir l’eſprit bon, mais le principal eſt de l’appliquer bien. Les plus grandes ames ſont capables des plus grans vices, auſſy bien que des plus grandes vertus : Et ceux qui ne marchent que fort lentement peuuent auancer beaucoup d’auantage, s’ils ſuiuent touſiours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, & qui s’en eſloignent.

Pour moy ie n’ay iamais preſumé que mon eſprit fuſt en rien plus parfait que ceux du commun : meſme i’ay ſouuent ſouhaité d’auoir la penſee auſſy prompte, ou l’imagination auſſy nette & diſtincte, ou la memoire auſſy ample, ou auſſy preſente, que quelques autres. Et ie ne ſçache point de qualitez que celles cy, qui ſeruent a la perfection de l’eſprit : car pour la raifon, ou le ſens, d’autant qu’elle eſt la ſeule choſe qui nous rend hommes, & nous diſtingue des beſtes ie veux croyre qu’elle eſt toute entiere en vn chaſcun ; & ſuiure en cecy l’opinion commune des Philoſophes, qui diſent qu’il n’y a du plus & du moins qu’entre les accidens, & non point entre les formes ou natures des indiuidus d’vne meſme eſpece.

Mais ie ne craindray pas de dire que ie penſe auoir eu beaucoup d’heur, de m’eſtre rencontré dés ma ieuneſſe en certains chemins, qui m’ont conduit à des conſiderations & des maximes, dont i’ay formé vne Methode, par laquelle il me ſemble que i’ay moyen d’augmenter par degrez ma connoiſſance, & de l’eſleuer peu a peu au plus haut point, auquel la mediocrité de mon eſprit & la cour-