Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t3, 1873.djvu/29

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que qui étaient presque exclusivement l’apanage de la haute noblesse, lui ont pris, pour les enlaidir, ses ridicules et ses vices, qui se sont ainsi répandus dans une plus grande masse et qui ont gagné en développement ce qu’ils ont perdu en éclat. Hâtons-nous toutefois de constater que ce progrès de corruption n’est sensible que chez les hommes ; les femmes du monde, au contraire, se conduisent en général beaucoup mieux qu’autrefois ; cela vient de plusieurs causes : la première, qui dispense de toutes les autres, c’est qu’elles sont beaucoup moins et surtout beaucoup moins bien attaquées. On montre au doigt les jeunes gens qui s’occupent des femmes de la société ; nos hommes, au lieu de chercher à brouiller des ménages honnêtes, en ont eux-mêmes de honteux, je ne sais où. L’on ne peut plus dire que les femmes et les maris vont chacun de leur côté. Le mari va de son côté, et la femme reste toute seule du sien. L’esprit de galanterie se perd de plus en plus au profit des conquêtes faciles et cachées. Dans l’ancienne société, il y avait trop souvent scandale de la part des deux époux ; dans la nouvelle, il y a cynisme ou hypocrisie de la part du mari. Les dames n’ont presque plus rien à faire. La coquetterie elle-même devient une sinécure. Nous avons d’excellents ménages dans la riche et grande société, à condition que nos maris vont se faire, à droite et à gauche, les héros de quelques romans plus que bourgeois, et que nos femmes se vengent en lisant avec rage les quarante-huit romans excentriques qui paraissent tous les mois.

De tout cela, bénéfice nul pour les mœurs, car la dépravation terre à terre des hommes entraîne des conséquences qui remplacent très-avantageusement les déplorables effets des intrigues galantes. L’abrutissement de l’espèce vaut bien quelques irrégularités dans les familles. De tout cela surtout, perte réelle pour l’agrément de la société. Et c’est grand dommage, car la France régnait sur l’Europe par ses salons, plus que Londres et Vienne par leurs cabinets. « Un salon d’aujourd’hui, et un salon de mon temps, me répétait souvent mon père, ne se ressemblent pas