Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t3, 1873.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

18 OEUVRES D’EMILE DESCHAMPS. plar, regardait le mariage comme une institution so- ciale, bonne à renouveler et à entretenir la splendeur des familles et à perpétuer les races, ou du moins les noms; voilà tout. Et de même que, dans les grands théâ- tres, on disait le côté du roi et le côté de la reine, il y avait dans toutes les grandes maisons l’appartement de monsieur et l’appartement de madame; le carrosse de wo?ï.siewr et le carrosse de madame; les gens de mon- sieur et les gens de madame ; les amis de monsieur et les amis de madame, etc., etc.; il n’y avait de commun que l’abbé qui, le matin, faisait de la philosophie et l’esprit fort avec monsieur, et le soir des bouts-rimés et de la galanterie avec madame, et qui, de temps en temps, disait quelques mots de latin aux enfants. Du reste, la femme ne désobéissait jamais au mari qui ne commandait pas; le mari ne refusait rien à la femme qui ne demandait jamais rien; ils ne se querellaient point, car ils ne se parlaient pas; et l’on ne peut pas dire qu’ils vivaient mal ensemble, car ils vivaient sé- parés ; enfin ce n’était pas un mauvais ménage, car ce n’était pas un ménage. Mais, tandis que le mariage allait de la sorte à la cour et dans la haute noblesse, il était en grand hon- neur dans les familles de magistrature, dans les mai- sons nobles des provinces et des châteaux, et parmi la bonne et saine bourgeoisie, ce pur sang de la nation, cette liqueur généreuse dont la cour est la mousse, et dont la populace est la lie. Et puis, on imprime et on crie partout : « Quelle corruption de mœurs dans la France d’autrefois ! et combien nous sommes vertueux à présent! » C’est qu’on ne sait que l’histoire des grands seigneurs et des courtisans d’alors, et que depuis soixante ans, il n’y a pas de cour. Mais, si l’on dressait avec exactitude un tableau statistique des mœurs dans les différents états de la société, pour les deux époques, quel serait notre étonnement à tous quand nous ver- rions la balance morale pencher en faveur de ce dix- huitième siècle lui-même, tant décrié. Le commerce et la bourgeoisie, en s’acquérant, de révolution en révo- lution, les privilèges de fortune et l’importance politi