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Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/23

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— Laissez courir les avirons, mes cœurs, crie Lacerisaie. À l’avant, il lève la main droite ou la main gauche, au-dessus de la tête des milieux ; le gouvernail comprend ces signaux. Les pagaies battent la rivière en cadence, tous les muscles des rameurs sont tendus. Mais la force du courant neutralise celle des hommes sur cette eau semblable à une large courroie tournant à une vitesse vertigineuse, sans un pli, sans un remous, tout d’un élan, tout d’un bloc.

— Un peu plus fort, mes cœurs.

Le canot a reculé un peu, à peine. Dans leur dos, les milieux, le gouvernail sentent maintenant l’abîme de la cataracte. Lacerisaie voit la panique s’emparer d’eux : sournoisement, les yeux cherchent un moyen de sauvetage ; les cerveaux sont occupés ailleurs.

Alors, il se tourne, face à ses hommes, pour en prendre possession, accorder de nouveau leurs gestes, obtenir des efforts bien coordonnés et supérieurs.

Mais l’embarcation recule toujours, imperceptiblement. Du haut des rochers, la brigade suit le duel ; elle constate vite l’inutilité du combat. Personne ne bouge.

Une voix retentit :

— Lacerisaie… Attention !

Un morceau de bois auquel est attachée une double haussière, vient s’abattre devant le canot, dérive ; le brigadier la saisit au passage.

— Attache la corde à la pince… Continuez de ramer.

La haussière se tend et vibre lorsque le canot a reculé encore un peu. D’abord, celui-ci incline de la proue vers la terre, puis, en une seconde, il se rabat sur les pierres du rivage.

— Parez avec vos rames ! Parez le choc ! crie encore la même voix.

Sans le savoir, les hommes terrifiés sont déjà tous debout. Sur les rochers, le canot vient se fracasser et l’eau fait irruption. Un homme perd l’équilibre, il tombe en arrière ; vingt bras se tendent pour le saisir ; mais une main invisible plus prompte le happe instantanément, semble-t-il. Là-bas, au

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