Page:Destutt de Tracy - Élémens d’idéologie, première partie.djvu/339

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telle idée dans un homme d’un mérite aussi éminent que le philosophe de Genève, montre que malgré ce qu’avaient déjà écrit Locke et Condillac, la théorie de nos langues et celle de nos opérations intellectuelles étaient encore des connaissances bien peu répandues ; et l’on est tout étonné qu’il y ait à peine quarante ans de cette époque. L’étonnement redouble quand on songe que la langue la plus belle au jugement des connaisseurs, la langue grecque, existait dans toute sa splendeur depuis deux mille ans ; qu’une foule de rhéteurs, métaphysiciens, grammairiens, avaient écrit des ouvrages pleins de sagacité ; que l’art de s’exprimer en prose et en vers avait été porté maintes fois, dans différens temps et dans différens pays, à un degré de perfection qu’il sera peut-être éternellement impossible de surpasser ; et que Rousseau lui-même est souvent le modèle d’une éloquence admirable. Assurément rien ne prouve mieux que la pratique d’un art peut être portée à un très-haut degré de perfection, quoique sa théorie soit encore complètement ignorée : aussi est-ce un phénomène que l’esprit humain nous montre constamment dans toutes les branches de