Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/265

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lui. Il se sentait personnellement privilégié dans cette maturité prospère de la moisson promise au gibet, et jamais il ne s’était autant félicité d’être le favori, l’enfant gâté de la Destinée ; jamais de la vie il n’avait tant aimé cette belle dame, ni montré autant de calme et de vertueuse confiance.

Car de supposer que lui, on pût aussi l’arrêter comme perturbateur, et le punir avec les autres, c’est une idée que M. Dennis rejetait bien loin de lui, comme une pure chimère. Il se disait que la ligne de conduite qu’il avait adoptée dans Newgate, et le service qu’il avait rendu ce jour-là, protesteraient assez haut contre tous les témoignages qui pourraient établir son identité comme complice de l’émeute. Si par hasard quelqu’un de ceux qui feraient des révélations, se sentant en danger, venait à déposer de sa complicité, cela ne ferait rien du tout ; et, quand on découvrirait, au pis aller, quelque petite indiscrétion par lui commise, l’utilité plus grande que jamais de sa profession et les commandes considérables qui allaient se présenter en foule pour l’exercice de ses fonctions, ne manqueraient pas de faire qu’on mettrait de l’indulgence à passer là-dessus. En un mot, il avait joué son jeu d’un bout à l’autre avec beaucoup d’habileté ; il avait viré de bord au bon moment ; il avait livré deux des insurgés les plus notables et encore un criminel distingué, par-dessus le marché : il était donc bien tranquille, sauf pourtant (car il y avait une petite réserve à faire, qui empêchait même M. Dennis de jouir d’un bonheur parfait)…. sauf pourtant une circonstance : c’était la détention de Dolly et de miss Haredale dans une maison presque attenante à la sienne. C’était là la pierre d’achoppement : car, si on venait à les découvrir et à les reprendre, elles pouvaient, en portant contre lui témoignage, le mettre dans une situation où il y avait de grands risques à courir. D’un autre côté, les mettre en liberté, après leur avoir arraché auparavant le serment de garder le secret sans rien dire, il n’y avait pas à y penser. La considération du danger qu’il devinait de ce côté avait peut-être bien remplacé dans ce moment, chez le bourreau, son goût général pour le conversation des dames, lorsque, hâtant sa course, il se dépêchait d’aller goûter les charmes de leur société, donnant de bon cœur à tous les diables les amoureuses ardeurs de Hugh et de M. Tappertit, à chaque pas qu’il faisait.