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vrai ? Sa famille sait-elle aussi mon histoire ? chacun en parle-t-il ? est-ce charbonné sur les murs et crié dans les rues ? »

Ainsi la honte, la colère et la crainte, toutes les trois à la fois en lutte dans son cœur ! mais quel pouvoir a donc cette femme, pense M. Tulkinghorn, pour dominer la rage de ces passions déchaînées ?

« Non, milady, répond-il en contractant les sourcils d’une manière imperceptible sous le regard qu’il rencontre ; ce n’est qu’une hypothèse, mais qui deviendrait une réalité, si les parents de cette jeune fille savaient… ce que nous savons.

— Ainsi donc, ils ne savent rien encore ?

— Non, milady.

— Puis-je, avant qu’ils en soient instruits, mettre la pauvre enfant en sûreté ?

— Je n’en sais rien, milady, et ne pourrais vous répondre. »

La force de cette femme est vraiment surprenante, pense le vieux procureur, qui suit tous les mouvements de sa victime avec curiosité.

« Je vais essayer, dit-elle, de m’exprimer plus clairement : je ne discute pas votre hypothèse, je l’admets ; j’ai compris, lorsque j’ai vu M. Rouncewell, que, s’il avait pu savoir la vérité sur mon compte, il aurait considéré la pauvre enfant comme souillée par mon honorable patronage, si distingué qu’il puisse être ; mais je m’intéresse… ou plutôt, car je n’appartiens plus à cette maison, je m’intéressais à elle ; et si vous respectez encore assez la femme que vous tenez sous vos pieds, pour vous rappeler l’intérêt qu’elle portait à cette jeune fille, elle vous en sera reconnaissante. »

M. Tulkinghorn, profondément attentif, repousse d’un geste les paroles de milady, comme n’étant pas fondées.

« Vous m’avez préparée au déshonneur qui m’attend, poursuit-elle ; je vous en remercie. Avez-vous quelque chose à me demander ? quelque renonciation à obtenir ? Puis-je épargner à mon mari quelque tourment, et l’affranchir de quelque difficulté judiciaire en garantissant par mes propres aveux l’exactitude de votre découverte ? Dictez-moi, je suis prête à écrire ce que vous voudrez. »

Elle le ferait pourtant ! pense-t-il en voyant avec quelle fermeté milady prend la plume.

« Lady Dedlock, je vous en prie, ayez pitié de vous-même.

— Je n’ai besoin ni de la pitié des autres ni de la mienne, monsieur Tulkinghorn ; vous ne me ferez jamais plus de mal que vous ne m’en avez fait ; continuez, monsieur ; faites ce qui vous reste à faire. »

Le ciel est parsemé d’étoiles dont le regard paisible descend