Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jusqu’à eux ; la nuit est calme, tout repose, les bois sont endormis sous la clarté de la lune, et le vieux manoir est tranquille comme la tombe ; la tombe ! Où est le fossoyeur destiné à ensevelir ce secret avec tous ceux que renferme la poitrine de M. Tulkinghorn ? il n’existe peut-être pas encore, et sa bêche n’est peut-être pas encore forgée ? Questions étranges sans doute, peut-être moins étranges sous le regard des étoiles, par une belle nuit d’été !

« Je ne parle point de regrets et de remords, d’aucun de mes sentiments, continue lady Dedlock ; si je n’étais muette à cet égard, vous, vous seriez sourd ; ne parlons pas de ça : ce n’est pas fait pour vos oreilles. »

Il feint de vouloir protester ; mais elle l’arrête d’un geste dédaigneux.

« J’ai à vous dire que mes bijoux sont à leur place ordinaire, ainsi que mes dentelles, mes vêtements, toutes les valeurs qui m’ont appartenu ; je n’ai sur moi qu’un peu d’argent comptant. J’ai pris d’autres habits que les miens, pour éviter d’être reconnue, et je quitte cette maison où je ne reviendrai pas ; faites-le savoir, c’est là tout ce que je vous demande.

— Pardon, milady, mais je ne suis pas sûr de vous avoir comprise.

— Je pars à l’instant, et personne ne me reverra jamais. »

Elle se lève ; mais lui, toujours impassible et sans changer d’attitude, fait un signe négatif.

« Que je ne parte pas ? dit-elle.

— Non, milady, répond-il avec calme.

— Avez-vous oublié que ma présence est une souillure pour cette maison ?

— Nullement, lady Dedlock. »

Elle se dirige vers la porte sans daigner lui répondre, et va sortir, quand M. Tulkinghorn lui dit sans faire le moindre mouvement, sans même élever la voix :

« Ayez la bonté de m’écouter, lady Dedlock ; avant que vous ayez gagné l’escalier, j’aurai sonné la cloche d’alarme, réveillé toute la maison, et je parlerai devant tout le monde, hommes et femmes, maîtres et serviteurs. »

Il l’a domptée, elle se sent défaillir, elle frissonne et porte la main à son front ; cela serait pour tout autre un signe bien incertain : mais l’œil exercé de Tulkinghorn ne s’y est pas trompé, il a vu son indécision, il triomphe !

« Veuillez m’entendre, lady Dedlock, » poursuit l’avoué en lui désignant le fauteuil qu’elle occupait tout à l’heure.