Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/169

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— Parfaitement, Richard ; elle est plus adorable que jamais.

— Ah ! reprit-il en se laissant tomber sur sa chaise ; ma pauvre cousine !… je vous écrivais, Esther. »

Si jeune et si beau, et pourtant si défait et les yeux si hagards, tandis qu’il froissait dans sa main le papier qu’il avait pris sur la table !

« Est-ce avec l’intention de déchirer votre lettre, que vous vous êtes donné la peine de m’écrire ? lui demandai-je.

— Oh ! répondit-il en faisant un geste de désespoir, l’état où vous voyez cette chambre vous en dit bien assez. »

Je l’engageai doucement à ne pas se laisser abattre, et je lui dis qu’ayant appris par hasard qu’il se trouvait dans l’embarras, j’étais venue pour en causer avec lui et pour voir ce qu’il y avait à faire.

« Toujours la même, dit-il, mais vous n’y pouvez rien ; je quitte l’armée aujourd’hui ; j’ai la permission de vendre mon brevet, et dans une heure je serai parti d’ici. Encore une chose tombée dans l’eau. Il ne me reste plus qu’à entrer dans l’Église pour avoir parcouru le cercle des professions libérales.

— Vous n’en êtes pas là, Richard, m’écriai-je.

— Si vraiment ; d’ailleurs mes chefs me voient partir sans regret ; et ils ont bien raison ; car je ne conviens nullement pour faire un militaire ; je n’ai d’intelligence, de cœur et d’activité que pour une seule chose ; et, en supposant que la bombe n’eût pas éclaté maintenant, il aurait fallu rompre tôt au tard avec une carrière qui d’un moment à l’autre pouvait m’envoyer au loin ; comment partir, quand je sais par expérience qu’il est impossible de se fier même à Vholes, si l’on n’est pas toujours sur ses épaules ? »

Il devina ce que j’allais dire, et prenant ma main dont il me ferma la bouche :

« N’en parlons plus, continua-t-il ; entre nous, vous le savez, dame Durden, il y a deux sujets que nous ne devons pas aborder : l’un est M. Jarndyce ; quant à l’autre, c’est vous qui me l’avez défendu ; appelez ça de la folie, si vous voulez ; je vous répondrai que ce n’est pas ma faute et qu’il m’est impossible d’en guérir ; mais c’est au contraire de la sagesse, et la seule chose dont j’aie à m’occuper. Quel malheur que je me sois laissé détourner de la route que je devais suivre ! et comment pourrais-je y renoncer aujourd’hui après y avoir déjà consacré tant de temps, de soins et de peine ! Je sais bien quelqu’un à qui cela ferait plaisir, mais ce n’est pas un motif pour renoncer à mes droits. »