Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/12

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Ma mère dit qu’elle avait eu ce plaisir. Mais elle sentait que malgré elle, elle laissait assez voir que le plaisir n’avait pas été immense.

« Eh bien ! maintenant vous la voyez », dit miss Betsy. Ma mère baissa la tête et la pria d’entrer.

Elles s’acheminèrent vers la pièce que ma mère venait de quitter ; depuis la mort de mon père, on n’avait pas fait de feu dans le salon de l’autre côté du corridor ; elles s’assirent, miss Betsy gardait le silence ; après de vains efforts pour se contenir, ma mère fondit en larmes.

« Allons, allons ! dit miss Betsy vivement, pas de tout cela ! venez ici. »

Ma mère ne pouvait que sangloter sans répondre.

« Ôtez votre bonnet, enfant, dit miss Betsy, il faut que je vous voie. »

Trop effrayée pour résister à cette étrange requête, ma mère fit ce qu’on lui disait ; mais ses mains tremblaient tellement qu’elle détacha ses longs cheveux en même temps que son bonnet.

« Ah ! bon Dieu ! s’écria miss Betsy, vous n’êtes qu’un enfant ! »

Ma mère avait certainement l’air très jeune pour son âge ; elle baissa la tête, pauvre femme ! comme si c’était sa faute, et murmura, au milieu de ses larmes, qu’elle avait peur d’être bien enfant pour être déjà veuve et mère. Il y eut un moment de silence, pendant lequel ma mère s’imagina que miss Betsy passait doucement la main sur ses cheveux ; elle leva timidement les yeux : mais non, la tante était assise d’un air rechigné devant le feu, sa robe relevée, les mains croisées sur ses genoux, les pieds posés sur les chenets.

« Au nom du ciel, s’écria tout d’un coup miss Betsy, pourquoi l’appeler rookery[1] ?

— Vous parlez de cette maison, madame ? demanda ma mère.

— Oui, pourquoi l’appeler Rookery ? Vous l’auriez appelé cookery[2], pour peu que vous eussiez eu de bon sens, l’un ou l’autre.

— M. Copperfield aimait ce nom, répondit ma mère. Quand

  1. Une rookery, en Angleterre, est une colonie de corneilles (rooks) qu’on laisse nicher et pulluler dans les hauts arbres des avenues ou des massifs qui avoisinent les châteaux. On les garde avec soin comme un signe aristocratique de l’ancienneté du domaine.
  2. Cuisinerie, si le mot était français.