Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/129

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« En vérité, dit doucement ma mère, ils se ressemblent beaucoup. Je crois que leurs yeux sont comme les miens. Ils sont de la couleur des miens, mais ils se ressemblent d’une manière étonnante.

— De quoi parlez-vous, Clara ? dit miss Murdstone.

— Ma chère Jeanne, dit en hésitant ma mère, un peu troublée par cette brusque question, je trouve que les yeux de David et ceux de son frère sont exactement semblables.

— Clara, dit miss Murdstone en se levant avec colère, vous êtes vraiment folle parfois !

— Ma chère Jeanne ! reprit ma mère.

— Positivement folle, dit miss Murdstone ; autrement, comment pourriez-vous comparer l’enfant de mon frère à votre fils ? Il n’y a pas la moindre ressemblance. Ils diffèrent absolument sur tous les points ; j’espère qu’il en sera toujours ainsi. Je ne resterai pas ici pour entendre faire de pareilles comparaisons. » Sur ce, elle sortit majestueusement en lançant la porte derrière elle.

En un mot, je n’étais pas en faveur auprès de miss Murdstone. Je n’étais d’ailleurs en faveur auprès de personne, car ceux qui m’aimaient ne pouvaient pas me le témoigner, et ceux qui ne m’aimaient pas le montraient si clairement que je me sentais toujours embarrassé, gauche et stupide.

Mais je sentais aussi que je rendais le malaise qu’on me faisait éprouver. Si j’entrais dans la chambre pendant que l’on causait, ma mère qui semblait gaie, le moment d’auparavant, devenait triste et silencieuse. Si M. Murdstone était de belle humeur, je le gênais. Si miss Murdstone était de mauvaise humeur, ma présence y ajoutait. J’avais l’instinct que ma mère en était la victime, je voyais qu’elle n’osait pas me parler ou me témoigner son affection de peur de les blesser, et de recevoir ensuite une réprimande ; je voyais qu’elle vivait dans une inquiétude constante : elle craignait de les fâcher, elle craignait que je ne vinsse à les fâcher moi-même ; au moindre mouvement de ma part, elle interrogeait leurs regards. Aussi pris-je le parti de me tenir le plus possible à l’écart, et bien des heures d’hiver se passèrent dans ma triste chambre où je lisais sans relâche, enveloppé dans mon petit manteau.

Quelquefois, le soir, je descendais dans la cuisine pour voir Peggotty. Je me trouvais bien là, et je n’y éprouvais plus aucun embarras. Mais ni l’un ni l’autre de mes expédients ne convenait aux habitants du salon. L’humeur tracassière qui