Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

elle quand je vais lui faire une visite. Je me console imparfaitement de ce désappointement en regardant le gage sacré que j’ai reçu, la fleur fanée.

«  Trotwood, me dit Agnès, un jour après-dîner, savez-vous qui doit se marier demain ? quelqu’un pour qui vous avez une grande admiration.

— Pas vous, je pense, Agnès ?

— Non, pas moi dit-elle en levant les yeux de dessus la musique qu’elle copiait. Entendez-vous ce qu’il dit là, papa ?… Non, c’est miss Larkins l’aînée.

— Elle épouse… le capitaine Bailey ? »

C’était tout ce que j’avais la force de dire.

«  Non, non, pas un capitaine : M. Chestle, un grand cultivateur de houblon. »

Je suis très-abattu pendant une quinzaine de jours. Je ne porte plus ma bague, je commence à remettre mes vieux habits, je renonce à la graisse d’ours, et je soupire sur la fleur fanée de miss Larkins. Au bout de ce temps, je m’ennuie un peu de ce genre de vie, et, sur une nouvelle provocation du boucher, je jette aux vents ma fleur, je donne un rendez-vous à mon agresseur, et je le bats glorieusement.

Je reprends ma bague, et je renouvelle avec modération l’usage de la graisse d’ours, voilà les dernières traces que je puis saisir dans le souvenir de ma vie, en marchant sur mes dix-sept ans.


Je ne sais pas si j’étais triste ou satisfait quand je vis arriver la fin de mes études et le moment de quitter le docteur Strong. J’avais été très-heureux chez lui, et j’avais un véritable attachement pour le docteur ; en outre, j’étais un personnage éminent dans notre petit monde. Voilà mes raisons de tristesse, mais j’avais d’autres raisons, assez peu solides d’ailleurs, d’être bien aise. La vague idée de devenir un jeune homme libre de mes actions, le sentiment de l’importance que