Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/371

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Décidément il manque d’énergie. J’aurais dû laisser Jeannette à sa place, j’en aurais eu l’esprit plus tranquille. Si jamais un âne a passé sur ma pelouse dit ma tante avec vivacité, il y en avait un cette après-midi, à quatre heures car j’ai senti un frisson qui m’a couru de la tête aux pieds, et je suis sûre que c’était un âne ! »

J’essayai de la consoler sur ce point, mais elle rejetait toute consolation.

« C’était un âne, dit ma tante, et c’était cet âne anglais que montait la sœur de ce Meur… de ce Meurtrier, le jour où elle est venue chez moi. »

Depuis lors, en effet, ma tante n’appelait pas autrement miss Murdstone, dont elle écorchait ainsi le nom.

« S’il y a un âne à Douvres dont l’audace me soit insupportable, continua ma tante en donnant un coup de poing sur la table, c’est cet animal-là. »

Jeannette risqua la supposition que ma tante avait peut-être tort de s’inquiéter ; qu’elle croyait, au contraire, que l’âne en question était occupé, pour le moment, à des transports de sable, ce qui ne lui laissait guère la faculté d’aller commettre des délits sur sa pelouse. Mais ma tante ne voulait pas entendre raison.

On nous servit un bon souper bien chaud, quoiqu’il y eût loin de la cuisine à l’appartement de ma tante, situé au haut de la maison. L’avait-elle ainsi choisi pour avoir plus de marches à monter, afin d’en avoir pour son argent, ou pour être plus à même de s’échapper, en cas d’incendie, par la porte qui donnait sur le toit, je n’en sais rien. Le repas se composait d’un poulet rôti, d’une tranche de bœuf et d’un plat de légumes : le tout excellent, et j’y fis honneur. Mais ma tante, qui avait ses idées sur les comestibles de Londres, ne mangeait presque pas.

« Je parierais que ce malheureux poulet a été élevé dans une cave, où il sera né, dit ma tante, et qu’il n’a jamais pris l’air autre part que sur une place de fiacres. J’espère que cette viande est du bœuf, mais je n’en suis pas sûre. On ne trouve rien ici au naturel que de la crotte.

— Ne pensez-vous pas que ce poulet pourrait être venu de la campagne, ma tante ?

— Non, certes, répliqua ma tante. Les marchands de Londres seraient bien fâchés de vous vendre quelque chose sous son vrai nom. »