Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ma tante finit sa rôtie en me regardant toujours en face, puis elle posa son verre sur la cheminée, et appuyant ses mains croisées sur sa robe relevée, elle me répondit comme suit :

« Trot, mon cher entant, si j’ai un but dans la vie, c’est de faire de vous un homme vertueux, sensé et heureux ; c’est tout mon désir, et Dick pense comme moi. Je voudrais que certaines gens de ma connaissance pussent entendre la conversation de Dick sur ce sujet. Il est d’une merveilleuse sagacité mais il n’y a que moi qui connaisse bien toutes les ressources d’intelligence de cet homme ! »

Elle s’arrêta un moment pour prendre ma main dans les siennes, puis elle reprit :

« Il est inutile, Trot, de rappeler le passé, quand ces souvenirs ne peuvent servir de rien pour le présent. Peut-être aurais-je pu être mieux avec votre père, peut-être aurais-je pu être mieux avec votre mère, la pauvre enfant, même après le désappointement que m’a causé votre sœur Betsy Trotwood. Quand vous êtes arrivé chez moi, pauvre petit garçon errant, couvert de poussière et épuisé de fatigue, peut-être me le suis-je dit tout de suite en vous voyant. Depuis ce temps jusqu’à présent, Trot, vous m’avez toujours fait honneur, vous avez été pour moi un sujet d’orgueil et de satisfaction ; personne que vous n’a de droits sur ma fortune, c’est-à-dire… » Ici, à ma grande surprise, elle hésita et parut embarrassée. « Non, personne n’a de droit sur ma fortune, et vous êtes mon fils adoptif : je ne vous demande que d’être aussi pour moi un fils affectueux, de supporter mes fantaisies et mes caprices, et vous ferez pour une vieille femme, dont la jeunesse n’a été ni aussi heureuse, ni aussi conciliante qu’elle eût pu l’être, plus que cette vieille femme n’aura jamais fait pour vous. »

C’était la première fois que j’entendais ma tante faire allusion à sa vie passée. Il y avait tant de noblesse dans le ton tranquille dont elle en parlait pour n’y plus revenir, que mon affection et mon respect s’en seraient accrus, s’il avait été possible.

« Voilà qui est entendu et convenu entre nous, Trot ; dit ma tante, n’en parlons plus, embrassez-moi, et demain matin, après le déjeuner, nous irons à la cour des Doctors’-Commons. »

Nous causâmes longtemps au coin du feu avant d’aller nous coucher. Ma chambre était située près de celle de ma tante, et