Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/408

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me rappeler ces étincelles que j’avais allumées, quelque chose dans le regard qu’il m’avait lancé en parlant, qui m’avait fait tressaillir comme si je l’avais vu tout d’un coup dévoilé par un jet de lumière. Rappelé à moi par la demande qu’il me faisait d’un ton si différent, je fis les honneurs du pot d’étain, mais d’une main si tremblante, avec un sentiment si soudain de mon impuissance à lutter contre lui, et avec tant d’inquiétude de ce qui allait survenir, que j’étais bien sûr de ne pouvoir lui cacher mon trouble.

Il ne disait rien. Il faisait fondre son sucre, buvait une gorgée de café, puis se caressait le menton de sa main décharnée, regardait le feu, jetait un coup d’œil sur la chambre, me faisait une grimace sous forme de sourire, se tortillait de nouveau dans l’excès de son respect servile, reprenait sa tasse de café, et me laissait le soin de recommencer la conversation.

« Ainsi donc, lui dis-je enfin, M. Wickfield qui vaut mieux que cinq cents jeunes gens comme vous… ou moi (ma vie en aurait dépendu que je n’aurais pas pu m’empêcher de couper ma phrase par un geste d’impatience bien prononcé), M. Wickfield a commis des imprudences, monsieur Heep ?

— Oh ! beaucoup d’imprudences, monsieur Copperfield, répliqua Uriah avec un soupir de modestie, beaucoup, beaucoup !… Mais vous seriez bien bon de m’appeler Uriah comme autrefois !

— Eh bien ! Uriah, dis-je en prononçant le mot avec quelque difficulté.

— Merci bien ! répliqua-t-il avec chaleur, merci bien monsieur Copperfield ! Il me semble sentir la brise ou entendre les cloches d’autrefois, comme aux jours de ma jeunesse, quand je vous entends dire Uriah. Je vous demande pardon. Que disais-je donc ?

— Vous parliez de M. Wickfield.

— Ah ! oui, c’est vrai, dit-il, de grandes imprudences, monsieur Copperfield ! C’est un sujet auquel je ne voudrais faire allusion devant personne autre que vous. Et même avec vous, je ne puis qu’y faire allusion. Si tout autre que moi avait été à ma place depuis quelques années, à l’heure qu’il est, il aurait M. Wickfield (quel excellent homme, pourtant, monsieur Copperfield !) sous sa coupe. Sous… sa… coupe… » dit Uriah très-lentement en étendant sa main décharnée sut la table, et en la pressant si fort de son pouce sec et dur que la table et la chambre même en tremblèrent.