Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/131

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spectacle navrant ! Mais ce que je ne saurais décrire, c’est comment, dans les replis cachés de mon cœur, je ressentais une secrète jalousie de la mort même ; comment Je lui reprochais de me refouler au second plan dans les pensées de Dora ; comment l’humeur injuste et tyrannique qui me possédait me rendait envieux même de son chagrin ; comment je souffrais de la pensée que d’autres pourraient la consoler, qu’elle pleurerait loin de moi ; enfin comment j’étais dominé par un désir avare et égoïste de la séparer du monde entier, à mon profit, pour être moi seul tout pour elle, dans ce moment si mal choisi pour ne songer qu’à moi.

Dans le trouble de cette situation d’esprit (j’espère que je ne suis pas le seul à l’avoir ressentie, et que d’autres pourront le comprendre), je me rendis le soir même à Norwood ; j’appris par un domestique que miss Mills était arrivée ; je lui écrivis une lettre dont je fis mettre l’adresse par ma tante. Je déplorais de tout mon cœur la mort si inattendue de M. Spenlow, et en écrivant je versai des larmes. Je la suppliais de dire à Dora, si elle était en état de l’entendre, qu’il m’avait traité avec une bonté et une bienveillance infinies, et n’avait prononcé le nom de sa fille qu’avec la plus grande tendresse, sans l’ombre d’un reproche. Je sais bien que c’était encore pur égoïsme de ma part. C’était un moyen de faire parvenir mon nom jusqu’à elle ; mais je cherchais à me faire accroire que c’était un acte de justice envers sa mémoire. Et peut-être l’ai-je cru.

Ma tante reçut le lendemain quelques lignes en réponse ; l’adresse était pour elle ; mais la lettre était pour moi. Dora était accablée de douleur, et quand son amie lui avait demandé s’il fallait m’envoyer ses tendresses, elle s’était écriée en pleurant, car elle pleurait sans interruption : « Oh ! mon cher papa, mon pauvre papa ! » Mais elle n’avait pas dit non, ce qui me fit le plus grand plaisir.

M. Jorkins vint au bureau quelques jours après ; il était resté à Norwood depuis l’événement. Tiffey et lui restèrent enfermés ensemble quelque temps, puis Tiffey ouvrit la porte, et me fit signe d’entrer.

« Oh ! dit M. Jorkins monsieur Copperfield, nous allons monsieur Tiffey et moi, examiner le pupitre, les tiroirs et tous les papier du défunt, pour mettre les scellés sur ses papiers personnels et chercher son testament. Nous n’en trouvons de trace nulle part. Soyez assez bon pour nous aider. »