Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/379

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la foule et la confusion universelle, joints à la difficulté que j’éprouvais à résister à la tempête, troublèrent tellement mes sens que je ne vis nulle part le navire en danger ; je n’apercevais que le sommet des grandes vagues. Un matelot à demi nu, debout à côté de moi, me montra, de son bras tatoué, où l’on voyait l’image d’une flèche, la pointe vers la main, le côté gauche de la plage. Mais alors, grand Dieu ! je ne le vis que trop, ce malheureux navire, et tout près de nous.

Un des mâts était brisé à six ou huit pieds du pont, et gisait, étendu de côté, au milieu d’une masse de voiles et de cordages. À mesure que le bateau était ballotté par le roulis et le tangage qui ne lui laissaient pas un moment de repos, ces ruines embarrassantes battaient le flanc du bâtiment comme pour en crever la carcasse ; on faisait même quelques efforts pour les couper tout à fait et les jeter à la mer, car, lorsque le roulis nous ramenait en vue le tillac, je voyais clairement l’équipage à l’œuvre, la hache à la main. Il y en avait un surtout, avec de longs cheveux bouclés, qui se distinguait des autres par son activité infatigable. Mais en ce moment, un grand cri s’éleva du rivage, dominant le vent et la mer : les vagues avaient balayé le pont, emportant avec elles, dans l’abîme bouillonnant, les hommes, les planches, les cordages, faibles jouets de sa fureur !

Le second mât restait encore debout, enveloppé de quelques débris de voiles et de cordes à demi détachées qui venaient le frapper en tous sens. Le vaisseau avait déjà touché, à ce que me dit à l’oreille la voix rauque du marin ; il se releva, puis il toucha de nouveau. J’entendis bientôt la même voix m’annoncer que le bâtiment craquait par le travers, et ce n’était pas difficile à comprendre ; on voyait bien que l’assaut livré au navire était trop violent pour que l’œuvre de la main des hommes pût y résister longtemps. Au moment où il me parlait, un autre cri, un long cri de pitié partit du rivage, en voyant quatre hommes sortir de l’abîme avec le vaisseau naufragé, s’accrocher au tronçon du mât encore debout, et, au milieu d’eux, ce personnage aux cheveux frisés dont on avait admiré tout à l’heure l’énergie.

Il y avait une cloche à bord, et, tandis que le vaisseau se démenait comme une créature réduite à la folie par le désespoir, nous montrant tantôt l’étendue du pont dévasté qui regardait la grève, tantôt sa quille qui se retournait vers nous pour se replonger dans la mer, la cloche sonnait sans