Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/406

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de cette soirée ; de reprendre une plume, de me remettre au travail.

Je me conformai humblement aux conseils d’Agnès ; j’interrogeai la nature, qu’on n’interroge jamais en vain ; je ne repoussai plus loin de moi les affections humaines. Bientôt j’eus presque autant d’amis dans la vallée que j’en avais jadis à Yarmouth, et quand je les quittai à l’automne pour aller à Genève, ou que je vins les retrouver au printemps, leurs regrets et leur accueil affectueux n’allaient au cœur, comme s’ils me les adressaient dans la langue de mon pays.

Je travaillais ferme et dur ; je commençais de bonne heure et je finissais tard. J’écrivais une nouvelle dont je choisis le sujet en rapport avec mes peines récentes ; je l’envoyai à Traddles, qui s’entremit pour la publication, d’une façon très-avantageuse à mes intérêts ; et le bruit de ma réputation croissante fut porté jusqu’à moi par le flot de voyageurs que Je rencontrais sur mon chemin. Après avoir pris un peu de repos et de distraction, je me remit à l’œuvre avec mon ardeur d’autrefois, sur un nouveau sujet d’imagination, qui me plaisait infiniment. À mesure que j’avançais dans l’accomplissement de cette tâche, je m’y attachais de plus en plus, et je mettais toute mon énergie à y réussir. C’était mon troisième essai en ce genre. J’en avais écrit à peu près la moitié, quand je songeai, dans un intervalle de repos, à retourner en Angleterre.

Depuis longtemps, sans nuire à mon travail patient et à mes études incessantes, je m’étais habitué à des exercices robustes. Ma santé, gravement altérée lorsque j’avais quitté l’Angleterre, s’était entièrement rétablie. J’avais beaucoup vu ; j’avais beaucoup voyagé, et j’espère que j’avais appris quelque chose dans mes voyages.

J’ai raconté maintenant tout ce qu’il me paraissait utile de dire sur cette longue absence… Cependant, j’ai fait une réserve. Si je l’ai faite, ce n’est pas que j’eusse l’intention de taire une seule de mes pensées, car, je l’ai déjà dit, ce récit est ma mémoire écrite. J’ai voulu garder pour la fin ce secret enseveli au fond de mon âme. J’y arrive à présent.

Je ne puis sonder assez avant ce secret de mon propre cœur pour pouvoir dire à quel moment je commençai à penser que j’aurais pu jadis faire d’Agnès l’objet de mes premières et de mes plus chères espérances. Je ne puis dire à quelle époque de mon chagrin j’en vins à songer que, dans mon insouciante