Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/410

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moi et de rouler tout seul en silence à travers les rues assombries par le brouillard.

Cependant, les boutiques et leurs gais étalages me remirent un peu ; et lorsque j’arrivai à la porte du café de Grays’inn, j’avais repris de l’entrain. Au premier moment, cela me rappela cette époque de ma vie, bien différente pourtant, où j’étais descendu à la Croix d’Or, et les changements survenus depuis ce temps-là. C’était bien naturel.

« Savez-vous où demeure M, Traddles ? » demandai-je au garçon en me chauffant à la cheminée du café.

«  Holborn-Court, monsieur, n° 9.

— M. Traddles commence à être connu parmi les avocats n’est-il pas vrai ?

— C’est probable, monsieur, mais je n’en sais rien. »

Le garçon, qui était entre deux âges et assez maigre, se tourna vers un garçon d’un ordre supérieur, presque une autorité, un vieux serviteur robuste, puissant, avec un double menton, une culotte courte et des bas noirs ; il se leva de la place qu’il occupait au bout de la salle dans une espèce de banc de sacristain, où il était en compagnie d’une boîte de menue monnaie, d’un almanach des adresses, d’une liste des gens de loi et de quelques autres livres ou papiers.

« M. Traddles ? dit le garçon maigre, n° 2 dans la cour. »

Le vieillard majestueux lui fit signe de la main qu’il pouvait s’en aller et se tourna gravement vers moi.

« Je demandais, lui dis-je, si M. Traddles, qui demeure au n° 2, dans la cour, ne commence pas à se faire un nom parmi les avocats ?

— Je n’ai jamais entendu prononcer ce nom-là, dit le garçon, d’une riche voix de basse-taille. »

Je me sentis tout humilié pour Traddles.

« C’est sans doute un tout jeune homme ? dit l’imposant vieillard en fixant sur moi un regard sévère. Combien y a-t-il qu’il plaide à la cour ?

— Pas plus de trois ans, » répondis-je.

On ne devait pas s’attendre qu’un garçon qui m’avait tout l’air de résider dans le même coin du même café depuis quarante ans, s’arrêtât plus longtemps à un sujet aussi insignifiant. Il me demanda ce que je voulais pour mon dîner.

Je sentis que j’étais revenu en Angleterre, et réellement Traddles me fit de la peine. Il n’avait pas de chance. Je demandai