Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/428

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pouvais mieux comprendra : « Oh ! Trot, aveugle, aveugle, aveugle ! »

Nous gardâmes le silence pendant quelques minutes. Quand je levai les yeux, je vis qu’elle m’observait attentivement. Peut-être avait-elle suivi le fil de mes pensées, moins difficile à suivre à présent que lorsque mon esprit s’obstinait dans son aveuglement.

« Vous trouverez son père avec des cheveux blancs, dit ma tante, mais il est bien mieux sous tout autre rapport : c’est un homme renouvelé. Il n’applique plus aujourd’hui sa pauvre petite mesure, étroite et bornée, à toutes les joies, à tous les chagrins de la vie humaine. Croyez-moi, mon enfant, il faut que tous les sentiments se soient bien rapetissés chez un homme pour qu’on puisse la mesurer à cette aune.

— Oui vraiment, lui répondis-je.

— Quant à elle, vous la trouverez, continua ma tante, aussi belle, aussi bonne, aussi tendre, aussi désintéressée que par le passé. Si je connaissais un plus bel éloge, Trot, je ne craindrais pas de le lui donner. »

Il n’y avait point en effet de plus bel éloge pour elle, ni de plus amer reproche pour moi ! Oh ! par quelle fatalité m’étais-je ainsi égaré !

« Si elle instruit les jeunes filles qui l’entourent à lui ressembler, dit ma tante, et ses yeux se remplirent de larmes, Dieu sait que ce sera une vie bien employée ! Heureuse d’être utile, comme elle le disait un jour ! Comment pourrait-elle être autrement ?

— Agnès a-t-elle rencontré un… Je pensais tout haut, plutôt que je ne parlais.

— Un… qui ? quoi ? dit vivement ma tante.

— Un homme qui l’aime ?

— À la douzaine ! s’écria ma tante avec une sorte d’orgueil indigné. Elle aurait pu se marier vingt fois, mon cher ami, depuis que vous êtes parti.

— Certainement dis-je, certainement. Mais a-t-elle trouvé un homme digne d’elle ? car Agnès ne saurait en aimer un antre. »

Ma tante resta silencieuse an instant, le menton appuyé sur sa main. Puis levant lentement les yeux :

« Je soupçonne, dit-elle, qu’elle a de l’attachement pour quelqu’un, Trot.

— Et elle est payée de retour ? lui dis-je.