Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/73

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Ce n’était pas là une perspective très-consolante pour un amant passionné, mais j’étais enchanté pourtant d’avoir ma tante dans ma confidence. Me rappelant en même temps qu’elle devait être fatiguée, je la remerciai tendrement de cette preuve de son affection et de toutes ses bontés pour moi, puis après un tendre bonsoir, ma tante et son bonnet de nuit allèrent prendre possession de ma chambre à coucher.

Comme j’étais malheureux ce soir-là dans mon lit ! Comme mes pensées en revenaient toujours à l’effet que produirait ma pauvreté sur M. Spenlow, car je n’étais plus ce que je croyais être quand j’avais demandé la main de Dora, et puis je me disais qu’en honneur je devais apprendre à Dora ma situation dans le monde, et lui rendre sa parole si elle voulait la reprendre ; je me demandais comment j’allais faire pour vivre pendant tout le temps que je devais passer chez M. Spenlow, sans rien gagner ; je me demandais comment je pourrais soutenir ma tante, et je me creusais la tête sans rien trouver de satisfaisant ; puis je me disais que j’allais bientôt ne plus avoir d’argent dans ma poche, qu’il faudrait porter des habits râpés, renoncer aux jolis coursiers gris, aux petits présents que J’avais tant de plaisir à offrir à Dora enfin à me montrer sous un jour agréable ! Je savais que c’était de l’égoïsme, que c’était une chose indigne, de penser toujours à mes propres malheurs, et je me le reprochais amèrement ; mais j’aimais trop Dora pour pouvoir faire autrement. Je savais bien que j’étais un misérable de ne pas penser infiniment plus à ma tante qu’à moi-même ; mais pour le moment mon égoïsme et Dora étaient inséparables, et je ne pouvais mettre Dora de côté pour l’amour d’aucune autre créature humaine. Ah ! que je fus malheureux, cette nuit-là !

Quant à mon sommeil, il fut agité par mille rêves pénibles sur ma pauvreté, mais il me semblait que je rêvais sans avoir accompli la cérémonie préalable de m’endormir. Tantôt je me voyais en haillons voulant obliger Dora à aller vendre des allumettes chimiques, à un sou le paquet ; tantôt je me trouvais dans l’étude, revêtu de ma chemise de nuit et d’une paire de bottes, et M. Spenlow me faisait des reproches sur la légèreté du costume dans lequel je me présentais à ses clients ; puis je mangeais avidement les miettes qui tombaient du biscuit que le vieux Tiffey mangeait régulièrement tous les jours au moment où l’horloge de Saint-Paul sonnait une heure ; ensuite je faisais une foule d’efforts inutiles pour l’autorisation officielle nécessaire à mon mariage avec Dora, sans avoir, pour la payer,