Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/74

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autre chose à offrir en échange qu’un des gants d’Uriah Heep que la Cour tout entière refusait, d’un accord unanime ; enfin, ne sachant trop où j’en étais, je me retournais sans cesse ballotté comme un vaisseau en détresse, dans un océan de draps et de couvertures.

Ma tante ne dormait pas non plus : je l’entendais qui se promenait en long et en large. Deux ou trois fois pendant la nuit, elle apparut dans ma chambre comme une âme en peine, revêtue d’un long peignoir de flanelle qui lui donnait l’air d’avoir six pieds, et elle s’approcha du canapé sur lequel j’étais couché. La première fois, je bondis avec effroi, à la nouvelle qu’elle avait tout lieu de croire, d’après la lueur qui apparaissait dans le ciel, que l’abbaye de Westminster était en feu. Elle voulait savoir si les flammes ne pouvaient pas arriver jusqu’à Buckingham-Street dans le cas où le vent changerait. Lorsqu’elle reparut plus tard, je ne bougeai pas, mais elle s’assit près de moi en disant tout bas : « Pauvre garçon ! » et je me sentis plus malheureux encore en voyant combien elle pensait peu à elle-même pour s’occuper de moi tandis que moi, j’étais absorbé comme un égoïste, dans mes propres soucis.

J’avais quelque peine à croire qu’une nuit qui me semblait si longue pût être courte pour personne. Aussi je me mis à penser à un bal imaginaire où les invités passaient la nuit à danser : puis tout cela devint un rêve, et j’entendais les musiciens qui jouaient toujours le même air, pendant que je voyais Dora danser toujours le même pas sans faire la moindre attention à moi. L’homme qui avait joué de la harpe toute la nuit essayait en vain de recouvrir son instrument avec un bonnet de coton d’une taille ordinaire, au moment où je me réveillai, ou plutôt au moment où je renonçai à essayer de m’endormir, en voyant le soleil briller enfin à ma fenêtre.

Il y avait alors au bas d’une des rues attenant au Strand d’anciens bains romains (ils y sont peut-être encore) où j’avais l’habitude d’aller me plonger dans l’eau froide. Je m’habillai le plus doucement qu’il me fut possible, et, laissant à Peggotty le soin de s’occuper de ma tante, j’allai me précipiter dans l’eau la tête le première, puis je pris le chemin de Hampstead. J’espérais que ce traitement énergique me rafraîchirait un peu l’esprit, et je crois réellement que j’en éprouvai quelque bien, car je ne tardai pas à décider que la première chose à faire était de voir si je ne pouvais pas faire résilier