Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/144

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pouvais l’empêcher. Pas un mot de cela devant Walter, pour l’amour de Dieu !

— N’avez-vous pas mis quelque argent de côté ? dit tout bas le capitaine.

— Oui, oui certainement, j’en ai mis de côté, répondit le vieux Sol en enfonçant d’abord ses deux mains dans ses poches vides, puis les appuyant sur sa grande perruque, comme s’il eût pensé pouvoir en faire sortir de l’or ; mais le peu que j’ai mis de côté ne peut se convertir, Cuttle ; je ne puis plus le ravoir. J’ai essayé d’en tirer parti pour Walter et je ne suis plus de ce siècle ; je suis resté en arrière sans être capable de rien. J’en ai placé de côté et d’autre, et… de fait, c’est comme si je n’en avais nulle part, » dit le vieillard, regardant tout autour de lui avec égarement.

Il avait tellement l’air d’une personne hébétée qui aurait caché son argent dans différentes places sans se rappeler les endroits, que le capitaine suivait ses yeux dans l’espoir bien douteux qu’il se rappellerait avoir enfoui dans la cheminée ou dans la cave quelques milliers d’écus. Mais Solomon Gills n’était pas si bête.

« Je suis resté bien en arrière du siècle, mon cher Cuttle, dit Sol d’un ton résigné. Il est inutile que je traîne plus longtemps. Il vaut mieux laisser vendre mon fonds ; il payera la dette au delà et je m’en irai mourir quelque part avec le surplus. J’ai perdu courage. Je n’entends plus rien aux affaires : il vaut mieux en finir. Qu’on vende le fonds et qu’on le jette en bas, dit le vieillard en indiquant d’une main tremblante le petit aspirant de marine, nous partirons ensemble.

— Et Walter, qu’en ferez-vous ? dit le capitaine. Allons, allons, asseyez-vous, Gills, asseyez-vous, laissez-moi réfléchir un peu. Ah ! si je n’étais un pauvre petit rentier, qui n’ai juste que de quoi vivre au jour le jour, mes réflexions ne seraient pas longues. Faites seulement tête au vent, dit le capitaine en lui donnant de nouveau cette inappréciable consolation, et tout ira bien. »

Le vieux Sol le remercia avec effusion et s’éloigna ; mais, au lieu de faire tête au vent, il alla donner de la tête, en se relevant, contre le marbre de la cheminée de la salle à manger.

Le capitaine Cuttle se promena quelque temps de long en large dans la boutique, l’air tout rêveur ; il fronçait ses noirs sourcils d’une façon si prononcée, que son nez ressemblait à une montagne dont le sommet est caché par de sombres nua-