Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/178

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— Parfaitement ; je commencerai aujourd’hui même. Voulez-vous me dire où est l’hôtel ? »

Le secrétaire écrivit l’adresse qui lui était donnée, et missis Boffin en profita pour examiner Rokesmith avec plus d’attention. La physionomie du jeune homme l’impressionna sans doute d’une manière favorable, car elle fit à son mari un signe de tête qui disait évidemment : « Sa figure me convient. »

« Soyez sans crainte, monsieur, dit le secrétaire, je veillerai à ce que tout s’achève avec promptitude.

— Je vous en serai obligé, répondit Boffin. Mais pendant que vous êtes là, vous serait-il agréable de faire un tour dans le Bower ?

— Très-agréable, monsieur ; on en a tant parlé depuis quelques mois ! »

Une triste demeure, offrant partout les traces de l’avarice qui l’avait possédée. Ni peinture, ni papier sur les murailles ; aucun meuble, aucune trace de la vie humaine. Ainsi que les créations de la nature, celles de l’homme doivent accomplir leur destinée, ou bientôt dépérir, et chaque année de désuétude avait plus dégradé le Bower que ne l’auraient fait vingt ans d’usage. Cette espèce de rachitisme auquel arrivent les maisons que la vie n’imprègne pas suffisamment, comme si elles se nourrissaient du mouvement qu’elles renferment, se révélait partout dans la demeure du vieil Harmon : l’escalier, les balustres, la rampe avaient un air décharné, qui se retrouvait aux panneaux des boiseries, aux jambages des portes, aux châssis des fenêtres. Sans l’extrême propreté des nouveaux habitants, le peu de meubles qui étaient là aurait couvert le plancher d’une épaisse vermoulure, et l’étoffe qui garnissait quelques-uns d’entre eux était ratatinée et flétrie, comme la figure des vieillards qui ont vécu longtemps seuls.

La chambre où le vieux grippe-sou avait rendu l’âme était encore telle qu’il l’avait laissée : vieux lit à quenouilles et sans rideaux, à corniche en fer, surmontée de fers de lance comme une grille de prison ; vieille courte-pointe à carreaux d’étoffes diverses ; vieux secrétaire à sommet fuyant, comme un front mauvais et fourbe ; vieille table massive à colonnes torses, placée à côté du lit, et portant le vieux coffret où l’on avait trouvé le testament. Contre le mur, deux ou trois vieux fauteuils affublés de housses à carreaux de diverses couleurs, et dont l’étoffe plus précieuse, cachée pour être conservée, s’était minée lentement sans avoir fait la joie d’aucun regard. Vieilleries sordides, revêtues de la livrée d’avarice comme d’un air de famille.

« C’était comme ça, dit Boffin ; on n’y a pas touché.