Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/179

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parce qu’on attendait le fils. On avait gardé toute la maison telle qu’elle était, pour qu’à son retour le pauvre jeune homme pût la voir et approuver la donation. Même aujourd’hui, à part la salle d’en bas, où nous étions tout à l’heure, rien n’a été changé. La dernière fois que le fils est venu, c’est dans cette pièce qu’il a trouvé son père, et c’est là qu’ils ont dû se quitter, pour ne jamais se revoir. »

Les yeux de Rokesmith firent le tour de la chambre et s’arrêtèrent sur une porte qui se trouvait dans un coin.

« Là c’est un autre escalier, dit le brave homme en ouvrant cette dernière porte. Nous pouvons le prendre ; vous serez bien aise de voir la cour, et il y mène tout droit. Quand il était petit, c’était par là que le pauvre enfant montait. Il avait grand’peur du patron, et je l’ai vu arrêté là bien des fois, l’air tout craintif ; nous deux, moi et ma femme, nous l’avons souvent consolé sur cette marche-là, où il s’asseyait avec son petit livre.

— Et sa pauvre sœur ! dit missis Boffin. Tenez, vous voyez bien où le soleil donne sur la muraille, c’est là qu’un jour ils se sont mesurés tous les deux ; leurs petites mains y ont écrit leurs signatures. C’était seulement avec un crayon ; mais les noms y sont toujours, et les pauvres chéris ne sont plus de ce monde.

— Nous en aurons soin, ma vieille, de ces noms-là, reprit le bonhomme, nous en aurons soin. Il ne faut pas qu’ils s’effacent de notre vivant, pas même après nous, s’il y a moyen de l’empêcher. Pauvres chers petits enfants !

— Pauvres mignons ! dit missis Boffin. »

Ils avaient ouvert la porte, qui, au bas de l’escalier, donnait sur la cour ; et, baignés de soleil, ils regardaient les deux noms que les petites mains tremblantes du frère et de la sœur avaient écrits sur le mur. Il y avait dans ce simple souvenir d’une enfance flétrie, et dans l’attendrissement de missis Boffin, quelque chose de touchant dont Rokesmith fut ému.

Noddy montra ensuite à son secrétaire les monceaux d’ordures qui se trouvaient dans la cour, surtout celui dont il avait hérité avant la mort du jeune Harmon. « C’était bien assez pour nous, dit-il ; et, s’il avait plu à Dieu d’épargner ces chers enfants, nous aurions été assez riches ; il n’y avait pas besoin du reste. »

Le jeune homme regardait et écoutait d’un air attentif. Trésors de la cour, extérieur de la maison, jusqu’au réduit qu’avaient occupé les Boffin à l’époque où ils travaillaient, tout cela paraissait l’intéresser vivement, et ce ne fut que lorsque Noddy lui eut montré deux fois les merveilles du Bower qu’il se souvint des devoirs qui l’appelaient ailleurs. « Vous n’avez pas d’instructions particulières à me donner ? dit-il.