Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/358

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— Moi aussi j’aurais mieux aimé ne pas la faire ; mais vos paroles me l’imposent. Je vous en prie, répondez-moi, sinon par obligeance, du moins par équité.

— Eh bien, monsieur, dit-elle en s’efforçant de contenir son impatience, est-il généreux d’user contre moi de la faveur dont vous jouissez auprès de mister et de missis Boffin ?

— Contre vous ?

— Est-il honorable de chercher à vous servir de leur influence pour appuyer des projets que vous savez ne pas me convenir, et que je vous prie formellement d’abandonner ? Est-il honorable de vous être faufilé dans cette place en vous disant que je viendrais ici ? Peut-être cependant ne l’avez-vous pas fait pour cela et je voudrais qu’il n’en fût rien ; mais est-il généreux de profiter de l’occasion pour agir à mon préjudice ?

— Misérable complot ! dit le secrétaire.

— Oui, » affirma Bella.

Il y eut un instant de silence ; puis il lui dit simplement : « Vous êtes dans l’erreur, miss Wilfer, dans une profonde erreur. Je ne peux pas dire que ce soit de votre faute, vous ne savez pas si je mérite mieux que cela de votre part.

— Mais vous, monsieur, vous savez comment je suis ici, répondit-elle avec irritation ; vous connaissez les moindres détails de ce testament. N’est-ce donc pas assez d’avoir été léguée comme un cheval, un chien, ou un oiseau, sans que vous aussi vous disposiez de ma personne ? Faut-il, qu’au moment où je cesse à peine d’être la risée de tout le monde, je devienne l’objet de vos prétentions, comme si je devais toujours être à la merci d’un étranger ?

— Croyez-moi, dit Rokesmith, vous vous trompez complètement.

— Je serais bien aise d’en avoir la preuve.

— Je doute au contraire que vous en fussiez satisfaite. Bonsoir, miss. J’aurai soin de cacher cette entrevue à mister et à missis Boffin, et de leur en dissimuler le résultat ; mais soyez bien sûre que ce dont vous vous êtes plainte ne se renouvellera jamais ; c’est fini pour toujours.

— En ce cas je me félicite d’avoir parlé ; cela m’a été pénible ; mais il fallait en venir là. Si je vous ai blessé, pardonnez-le moi. Je suis sans expérience, d’humeur prompte ; et puis une enfant gâtée ; mais au fond moins mauvaise que je n’en ai l’air, et que vous paraissez le croire. »

Il sortit du salon au moment où Bella, toujours inconséquente, disait ces mots avec une extrême douceur. Quand il fut parti elle se jeta sur l’ottomane en murmurant : « Je ne savais pas que