Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/357

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— Je le repousse, dit Bella.

— Je m’attendais à cette réponse ; il faudrait que j’eusse été sourd et aveugle pour en être surpris. Mais vous pardonnerez cette faute qui porte en elle son châtiment.

— Quel châtiment, monsieur ?

— Ce que je souffre n’est-il rien ? Mais pardon, je ne vous interroge pas.

— Vous vous autorisez d’un mot qui m’a échappé, dit Bella avec une légère nuance de remords, pour me faire passer pour une… Je ne sais pas… J’ai dit cela sans réflexion ; si j’ai eu tort, je le regrette ; mais vous le répétez de sang-froid, après y avoir songé, ce qui n’est pas mieux. Quant à ce que vous disiez tout à l’heure, je désire qu’il n’en soit plus question, ni à présent ni jamais ; comprenez-le bien, mister Rokesmith.

— Ni à présent, ni jamais ? dit-il.

— Oui, monsieur, reprit-elle avec une animation croissante, je vous demande de cesser des poursuites qui me déplaisent, et de ne pas profiter de la place que vous occupez dans cette maison pour m’en rendre le séjour désagréable. Je vous demande de renoncer à l’habitude que vous avez prise d’attirer les regards de missis Boffin, ainsi que les miens, sur des attentions que je trouve peu convenables.

— J’ai attiré les regards de missis Boffin ?

— Je le crois, interrompit Bella ; dans tous les cas, si vous n’y êtes pas arrivé, ce n’est pas votre faute.

— J’espère que vous vous trompez, miss ; je serais désolé qu’il en fût ainsi, mais je ne le pense pas. Toutefois, soyez sans crainte, désormais rien de tout cela n’aura lieu.

— Je suis heureuse de cette assurance, elle me soulage, dit Bella. J’ai d’autres projets d’avenir ; ma vie est arrangée d’une manière différente ; pourquoi gâter la vôtre ?

— Ma vie ! dit le secrétaire, ma vie ! » Le ton bizarre dont il proféra ces mots, ainsi que l’étrange sourire dont cette exclamation fut accompagnée, étonna la jeune fille ; mais le sourire s’effaça immédiatement, et ce fut d’un air triste qu’il ajouta, au moment où ses yeux rencontrèrent ceux de Bella : « Vous avez employé tout à l’heure des mots bien durs, miss Wilfer ; il y a, je n’en doute pas, quelque chose qui les justifie dans votre pensée, mais je ne saurais les comprendre. Excusez-moi donc si j’en demande l’explication. Ma conduite à votre égard, avez-vous dit, serait peu généreuse, peu honorable : qu’ai-je fait pour mériter ces reproches ?

— J’aurais préféré que cette question n’eût pas lieu, dit-elle avec hauteur.