Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
L’AMI COMMUN.

voir épouser votre sœur ; d’autant plus que cela vous serait utile. — Monsieur, lui ai-je répondu, c’est la chose qui me rendrait le plus heureux. — En ce cas, m’a-t-il dit, je peux compter sur vous pour m’appuyer auprès de votre sœur, et lui parler de moi d’une manière favorable. Certainement, ai-je répliqué ; soyez tranquille, monsieur, car j’ai sur elle beaucoup d’empire. N’est-il pas vrai, Liz ?

— Oui, Charley, beaucoup.

— Très-bien, Liz ; une bonne parole ; tu vois, nous commençons à nous entendre. Je continue ; fais bien attention. Mariée avec lui, la position que tu occuperas sera des plus respectables ; infiniment supérieure à celle que tu as maintenant. Elle te séparera enfin de la rivière, et de tout ce qui s’y rattache. Plus rien de la vie d’autrefois ; tu seras délivrée pour toujours des habilleuses de poupées, de leurs ignobles pères, et de tout ce qui s’en suit. Non pas que je veuille dénigrer miss Wren ; elle est très-bien pour une fille de son rang ; mais sa société ne convient pas à la femme d’un chef d’institution. Ainsi donc au point de vue de mon intérêt, de celui de mister Headstone et du tien, c’est tout ce qu’il y a de plus désirable. »

Il s’arrêta pour regarder sa sœur ; mais rien n’annonçait qu’elle eût changé d’avis. Il se remit à marcher auprès d’elle ; et bien qu’il s’efforçât de cacher son désappointement, ce fut d’un ton moins résolu qu’il reprit la parole.

« Avec l’influence que j’ai sur toi, j’aurais peut-être mieux fait, dit-il, de t’entretenir des projets de mister Headstone avant qu’il t’en parlât ; et de te disposer en sa faveur ; mais cette proposition est tellement généreuse, les avantages qu’elle offre sont d’une telle évidence, tu as toujours fait preuve de tant de raison, que je n’ai pas cru que ce fût nécessaire ; il paraît que je me suis trompé. Toutefois ce n’est pas irréparable ; il suffit de lui dire que la réponse qu’il a reçue tout à l’heure n’est pas définitive, que cela s’arrangera peu à peu, et que tu finiras par accepter. Je l’aurai bien vite rejoint ; et ce sera comme si tu n’avais rien dit. »

Il s’arrêta de nouveau ; la pâle créature le regarda d’un air affectueux et troublé ; mais elle secoua la tête d’une façon négative.

« Est-ce que tu as perdu la parole ? demanda-t-il avec aigreur.

— J’aurais mieux aimé ne rien dire, Charley ; mais puisqu’il le faut, je parlerai. Je maintiens la réponse que j’ai faite, et ne permets pas que tu dises le contraire. Ne lui parle pas de moi ; c’est inutile. Après la résolution dont je lui ai fait part ce soir, résolution, qui est inébranlable il ne reste rien à dire.