Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Quoi qu’il en soit, ajouta-t-elle, il a échappé à la punition qu’il mérite ; c’est bien dommage. »

Le voyageur la regarda en achevant de fumer sa dernière cigarette, tandis que la dame penchait la tête sur son ouvrage, avec une expression qui aurait probablement dissipé tous ses doutes et aurait permis à l’hôtesse de se former une opinion bien arrêtée sur sa bonne ou mauvaise mine. Mais elle n’en vit rien ; lorsqu’elle releva la tête, l’expression avait disparu. La petite main caressait la moustache hérissée.

« Peut-on demander à monter à sa chambre, madame ?

— Très volontiers, monsieur. Holà ! mon mari ! Mon mari va vous y conduire. Il s’y trouve déjà un voyageur endormi, qui s’est retiré de très bonne heure, car il tombait de fatigue ; mais c’est une grande chambre à deux lits, et on pourrait y coucher vingt personnes. •

L’hôtesse du Point du Jour donna ces explications d’une voix d’oiseau qui gazouille, s’interrompant à plusieurs reprises pour se retourner vers la porte de la cuisine et crier :

« Holà, mon homme ! »

Mon homme se montra enfin, en disant : « Me voici, ma femme ! » et, coiffé de son bonnet de coton officiel, éclaira, dans un escalier raide et étroit, le voyageur portant lui-même son manteau et son havre-sac, après avoir souhaité bonsoir à l’hôtesse et fait une allusion flatteuse au plaisir qu’il aurait à la revoir le lendemain. La chambre à coucher était en effet une grande salle, grossièrement planchéiée, avec un plafond où l’on voyait les poutres à découvert, et deux lits placés dans des coins opposés. Là mon homme, lançant un regard oblique au voyageur qui se baissait pour défaire son havre-sac, lui dit d’un ton assez rude : « Le lit à droite ! » et le laissa. L’aubergiste, qu’il fût bon ou mauvais physionomiste, avait jugé sans hésitation que sa nouvelle pratique avait une mine suspecte.

Ce dernier jeta un regard plein de mépris sur les draps propres mais de grosse toile qu’on lui avait préparés, et, s’asseyant sur une chaise de paille, tira son argent de sa poche et se mit à le compter dans sa main.

« Il faut bien manger, murmura-t-il, mais le diable m’emporte s’il ne faudra pas que je mange demain aux dépens d’un de mes semblables ! »

Tandis qu’il réfléchissait sur sa chaise, soupesant machinalement sa monnaie dans la paume de sa main, la respiration bruyante du voyageur endormi frappa si régulièrement son oreille qu’elle attira son attention de ce côté. Le dormeur était chaudement couvert et avait tiré le rideau blanc au chevet de son lit, de sorte qu’on pouvait bien l’entendre, mais non le voir. Cette respiration régulière et sonore continuait à se faire entendre, tandis que l’autre ôtait ses guêtres et ses souliers usés, et même après qu’il eut retiré son habit et sa cravate, finit par exciter sa curiosité et