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LA PETITE DORRIT


n’aurait pour lui que la sincérité de son amour et son désir de bien faire ; supposons qu’un homme de ce genre visitât cette maison et que, cédant aux charmes de cette charmante jeune fille, il se persuadât qu’il peut espérer de la conquérir… Quelle faiblesse ! »

Il ouvrit doucement la croisée et contempla la paisible rivière. D’année en année, eu égard au tirage du bateau, la rivière fait tant de milles à l’heure ; ici les roseaux, là-bas les lis, rien de vague, rien d’incertain.

Pourquoi voulez-vous qu’Arthur se sentît agacé ou accablé de tristesse ? Cette faiblesse imaginaire n’était pas la sienne. Ce n’était la faiblesse de personne ; Arthur ne connaissait personne qui eût cette faiblesse-là. Pourquoi voulez-vous donc qu’il s’en tourmentât ! Eh bien ! Il n’en est pas moins vrai qu’il s’en tourmentait. Et il pensait, qui n’a point pensé cela quelquefois ? que peut-être il eût mieux valu couler des jours aussi monotones que cette rivière, et que si elle était insensible au bonheur, elle ne l’était pas moins à la peine, ce qui est toujours un avantage.






CHAPITRE XVII.

Le rival de Personne.


Le lendemain matin, avant de déjeuner, Arthur se promena pour admirer les environs. Comme il faisait beau et qu’il avait une heure devant lui, il traversa la rivière dans le bac et se promena le long d’un sentier à travers les prairies ; lorsqu’il revint au chemin de halage, il vit le bac de l’autre côté de la rivière, et un gentleman qui hélait le passeur pour traverser.

Ce gentleman paraissait à peine avoir trente ans. Il était bien mis, avait l’air actif et gai, la taille bien prise et le teint brun. Au moment où Arthur escaladait une barrière pour gagner le bord de l’eau, l’inconnu le regarda un instant, puis se remit, dans son désœuvrement, à pousser du pied des cailloux pour les faire rouler dans la rivière. Il y avait dans sa manière de les déraciner avec le talon de sa botte et de les placer devant lui dans la position voulue pour les lancer à coup sûr, quelque chose, qui, aux yeux de Clennam, avait un certain air de cruauté. Combien de fois ne nous est-il pas arrivé d’éprouver des impressions pareilles en observant la façon dont un homme accomplit quelque action insignifiante, telle que d’arracher une fleur, de repousser un obstacle, ou même de détruire un objet insensible ?

L’étranger semblait préoccupé ; son visage le témoignait assez, et il ne faisait aucune attention à un beau chien de Terre-Neuve qui