Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/249

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que possible la Société (quel que soit le sens de cette vague expression), et de faire honneur à toutes les traites de politesse qu’elle pouvait tirer sur lui. Il ne brillait pas dans le monde ; il n’avait pas grand’chose à dire ; c’était un homme réservé, qui avait une grosse tête, penchée, observatrice, les joues animées de ce teint rouge, qui est plutôt de l’échauffement que de la fraîcheur, un peu d’agitation inquiète au bout des manches de son habit, comme si elles étaient dans sa confidence et qu’elles eussent, à raison de leur voisinage, plus de raison que personne de vouloir cacher ses mains. Le peu qu’il disait le faisait passer pour un homme assez agréable, simple, mais ne plaisantant pas sur l’article de la confiance publique ou privée, et très chatouilleux à l’endroit de la déférence que chacun était tenu d’avoir pour la Société. Dans cette même Société pourtant (si c’est elle qui venait à ses dîners, aux réceptions et aux concerts de Mme Merdle), il ne paraissait guère s’amuser, et la plupart du temps il se tenait contre les murs et derrière les portes ; puis quand il se rendait chez les autres membres de la Société, au lieu d’y être à son aise, il paraissait un peu fatigué et plus disposé à aller se coucher, mais il n’en cultivait pas moins assidûment la Société et la fréquentait sans cesse, dépensant son argent pour elle avec une libéralité extrême.

Le premier mari de Mme Merdle avait été un colonel, sous les auspices duquel la poitrine avait eu occasion d’entrer en lutte avec les neiges de l’Amérique du Nord et, si elle y avait été vaincue sous le rapport de la blancheur, elle l’avait emporté sous celui de la froideur : le fils du colonel était l’unique enfant de Mme Merdle ; c’était une tête stupide montée sur des épaules ramassées : il ressemblait moins à un jeune homme qu’à un gros poupard. Il avait donné si peu de signes de raison que ses camarades faisaient courir le bruit que son cerveau avait été gelé par un froid de trente degrés qui avait régné à Saint-John, New-Brunswick, à l’époque de sa naissance, et que son esprit n’avait jamais connu de dégel depuis ce moment. Une autre plaisanterie le représentait comme étant tombé, aux jours de son enfance, du haut d’une maison sur le pavé de la rue, où des témoins dignes de foi avaient entendu son crâne se fêler. Il est possible que ces deux anecdotes n’aient été inventées qu’après coup, le jeune homme (dont le nom expressif était Sparkler[1]) ayant la monomanie d’offrir le mariage à toutes sortes de demoiselles peu désirables, et de dire de chaque jeune personne à laquelle il faisait une proposition conjugale que c’était « une fille bigrement jolie… et très bien élevée, dame !… et qui ne faisait pas sa bégueule. »

Un beau-fils, doué d’une intelligence aussi restreinte, eût pu être une gêne pour un autre homme ; mais M. Merdle n’avait pas besoin d’un beau-fils pour lui-même ; s’il en avait pris un, c’était pour faire plaisir à la Société. M. Sparkler ayant été dans un

  1. Sparkle, briller, pétiller.