Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/273

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bleus, de sa tête brillante et de ses longs cheveux blancs, était bien fait pour produire une vive impression. Elle paraissait digne de figurer parmi les plus nobles sentiments énoncés par les meilleurs d’entre les hommes. De même, lorsqu’il dit à Clennam, en acceptant le fauteuil qu’on lui offrait : « Et vous voilà de nouveau dans les affaires, monsieur Clennam ? Je vous souhaite bien du succès, monsieur, bien du succès ! » On aurait dit qu’il venait de faire des prodiges de bienveillance.

« Mme Finching vient de me dire, monsieur, dit Arthur, après avoir présenté ses devoirs (la veuve de M. Finching protesta par un geste contre l’emploi de ce nom respectable), qu’elle compte employer de temps en temps la jeune couturière que vous avez recommandée à ma mère, et je viens de l’en remercier. »

Le Patriarche tournant vers Pancks sa tête hébétée, le remorqueur serra le carnet qu’il était en train de consulter, pour venir au secours du navire embourbé.

« Vous ne l’avez pas recommandée, vous savez, dit Pancks ; vous ne le pouvez pas, vous ne la connaissez ni d’Ève ni d’Adam ; on vous a dit le nom de cette couturière et vous l’avez fait circuler ; voilà tout ce que vous avez fait.

— Eh bien ! remarqua Clennam, comme elle est digne de toutes les recommandations, cela revient au même.

— Vous êtes heureux qu’elle se conduise bien, dit Pancks, continuant à parler au Patriarche, mais on n’aurait rien à vous reprocher si elle se conduisait mal. Vous n’aviez pas à vous faire honneur de sa bonne conduite, mais on n’aurait pas eu à vous blâmer si elle en avait tenu une mauvaise. Vous n’avez pas répondu d’elle ; vous ne la connaissiez pas du tout.

— De sorte que la famille de cette jeune fille vous est tout à fait inconnue ? dit Clennam, lançant cette question au hasard.

— Sa famille ? répliqua l’interprète Pancks. Comment connaîtriez-vous sa famille ? Vous n’en avez jamais entendu parler. Vous ne pouvez pas connaître des gens dont vous n’avez jamais entendu parler ? c’est évident ! »

Pendant tout ce dialogue, le Patriarche assis souriait d’un air serein, faisant un signe de tête affirmatif ou négatif, mais toujours bénévole, selon que Pancks disait oui ou non.

« Quant à donner des renseignements sur les gens, continua le remorqueur, vous savez ce qu’en vaut l’aune et vous vous dites : C’est une farce que les renseignements ! Voyez vos locataires de la cour du Cœur-Saignant ; ils sont tous prêts à donner de bons renseignements les uns sur les autres, si vous vouliez les écouter. Mais à quoi bon ? Il n’y a pas plus d’avantage à se voir flouer par deux personnes que par une ; c’est bien assez d’une. Un individu insolvable vous présente pour caution un autre individu insolvable. C’est absolument comme si un invalide avec deux jambes de bois venait vous présenter un autre invalide avec deux jambes de bois pour vous garantir que les jambes de son camarade sont des jambes